Chapitre IV : Le Palais de Topkapi

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Un   peu plus tard et alors que nous sommes à nouveau dans notre chambre d'Adnane Hotel, Rose toute en joie m'explique tous les changements opérés dans notre séjour.

Nous allons en Cappadoce, puis à Izmir et nos transits sont trop courts pour nous permettre d'aller facilement d'une région à une autre. Il fallait absolument organiser différemment notre voyage et changer nos vols, une petite épopée à organiser car nous ne sommes pas familières des sites écrits en turc. Elle m'explique que pendant plus d'une heure, Ageng l'a aidé et a booké tous nos hôtels pour que nous  ayons un hébergement dans chaque ville où nous allons nous rendre. Il a donné une pluie de conseils à Rose pour mener à bien notre expédition.

D'après ce que me relate Roseline, il  a l'air de prendre à cœur nos intérêts car je ne suis pas sûre que les obligations contractuelles qui le lié à l'Hotel l'oblige à se démener à ce point pour nous. Si ce n'est pas par égards ou par prévenance, c'est au minimum très professionnel. Peut-être un petit côté protecteur, j'aime les hommes qui ont cela en eux. Je l'ai  peut-être jugé un peu durement, au final.

- Qu'est ce que l'on fait ce soir ? Tu veux qu'on retourne au restau du premier soir ?

J'aime bien secouer un peu Rose lorsqu'il s'agit des mecs, elle qui les tiens toujours à distance, n'intercepte jamais les regards qui pleuvent sur elle. Je connais bien ma pote, je sais qu'une part d'elle rêve de papillonner, ne serait-ce que pour tout raconter en détails à son retour de vacances.

- Oh non. Ça fait dalleuse,
décrète-telle en balayant ma proposition d'un revers de main.

Tu parles. Elle crève d'envie de revoir son beau serveur. A moins que ce ne soit moi qui projette sur ma meilleure amie mes propres désirs ? Sans mec, sans perspective de flirt, je me fais penser à une fleur sans eau.

- N'importe quoi, je te rappelle que c'est lui qui nous a dit de revenir quand on voulais.
Et je ne te dis pas de croquer dans la pomme, j'ajoute, taquine,
- mais un petit crush de vacances en tout bien tout honneur ne te ferais pas de mal à mon humble avis. En plus, on a bien dîné non ?

- C'est vrai que c'était bon... Tu peux mettre l'adresse du Palais sur le GPS ?

Contrairement à moi, Rose ne perd pas le Nord. Je m'exécute et nous arrivons au Palais de Topkapi. C'est un lieu immense à l'architecture sublime. C'est troublant de s'imaginer qu'il a abrité tant de gens il y a des siècles, tout ce qui a été vécu ici. Le Palais est composé de plusieurs cours. Sous des voûtes en marbre sublimées de dorures, j'admire la beauté de ces jardins parsemés d'arbres et de fontaines jaillissantes d'eau.

Je me décide à acheter l'audioguide

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Je me décide à acheter l'audioguide. D'habitude, je n'aime pas mener mes visites sur un mode trop conventionnel, mais en l'occurrence je pense que je vais en apprendre des choses intéressantes.

Rose est partie explorer l'intérieur du Palais. Pour ma part, je circule de Cour en Cour, m'arrête pour admirer un arbre creux. Quelle bonheur de s'offrir une petite balade de santé dans un aussi bel endroit. J'arrive devant le Harem. Que raconte mon guide ?

L'organisation du Harem répond à une logique de hiérarchie : il y a une cour dédiée à la « sultane-validé », qui n'est autre que la mère du Monarque. Le passage des concubines mène à la Cour des concubines et des épouses, et il y a aussi la Cour des favorites.

Toutes ces femmes dédiées à la satisfaction du Sultan... ça me laisse songeuse et une impression familière.
Les choses ont-elles changées depuis le temps des Harems ? Il n'y a plus de princes ni de sultans au sein de nos sociétés majoritairement démocratiques, pourtant beaucoup d'hommes se comportent encore comme des souverains auxquels les femmes doivent tout. Ce doit être cela qu'on nomme la masculinité suprême. L'organisation du pouvoir diffère mais les êtres humains sont restés les mêmes. Encore aujourd'hui, une bonne partie des femmes caressent l'envie d'être l'unique, l'élue aux yeux d'un homme dès qu'elles ressentent la moindre secousse du désir ou de l'amour.

Hugo incarne l'archétype de  l'homme à la beauté fauve qui a toutes les  femmes à ses pieds. Dès notre première rencontre, j'ai su qu'entre nous il y avait quelque chose de chimique. On peut appeler ça sexe ou amour, tout dépend de la définition que chacun donne à ces concepts à la fois si proches et si éloignés l'un de l'autre. Je me suis vite aperçue que non seulement je ne serais jamais la seule dans la vie d'Hugo, mais qu'en plus, je n'étais même pas son premier choix. Il avait pourtant toujours été honnête, mais la durabilité de notre aventure m'a laissé penser que quelque chose de supérieur aux liens de la chair pouvait se produire entre nous. Douce illusion de la jeunesse.

Tout en circulant à travers les jardins, j'apprends l'existence du Sultanat des femmes, au XVII ème siècle. Durant cette période, une jeune fille avait été enlevée et placée dans le Harem. D'abord esclave dénommée Roxelane, le Sultan l'avait finalement épousée. L'expérience de cette dame offre un exemple de loi humaine fondamentale : on reste esclave ou l'on transcende sa condition. Contre toute attente et aussi éloignée soit-elle de ma condition personnelle, aussi bien en terme d'espace que de temps, cette visite du Harem m'évoque aussi bien ma propre situation dans la vie, qu'elle me permet de dézoomer de ma réalité et de me rendre compte que celle-ci s'inscrit dans un cadre beaucoup plus vaste.

Je me demande, après tous ces siècles, combien de femmes attendent encore qu'un homme leur offre la sécurité émotionnelle, sécuritaire, économique, ou tout cela réuni. Combien de femmes encore, attendent qu'un homme leur confère une valeur, à défaut d'être convaincues de leur propre valeur intrinsèque. Combien de femmes sont dans ma position, espérant sortir de l'abîme dans laquelle elles se trouvent depuis si longtemps.

Si au cours de l'époque médiévale, Hugo avait été monarque,  je n'aurais été probablement qu'une simple esclave, que je suis restée. Obsédée par ce que pense de moi un homme que je n'ai jamais intéressée, je n'aspire qu'à briser mes chaînes.


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