Chapitre XXIX : Boucle concentrique

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A l'aéroport d'Istanbul, mon forfait mobile ne me permet pas d'activer internet, sous peine de rentrer à Paris avec une facture creusant le gouffre financier dans lequel je me retrouve régulièrement. Ainsi, je n'ai pas accès à internet ni aux indications me permettant de trouver la porte devant laquelle Ageng m'attend : la porte 8, un chiffre au combien symbolique, l'équilibre et l'harmonie, encore, mais aussi l'infini. Par chance, Ageng m'a donné quelques informations qui m'aideront à m'orienter pour trouver la porte.

Je circule et ne trouve pas ce que je cherche. Pensant qu'il s'agit de la fameuse porte, j'ouvre une voie sans issue. Un Monsieur, fort massif et armé jusqu'au cou, probablement un militaire chargé de surveiller l'aéroport, me fait signe que je ne suis pas au bon endroit. Il éclate de rire avec bonhomie à la vue de mon expression de surprise et de mes penaudes excuses, et m'indique le chemin vers la porte 8. Je la trouve enfin. J'attends. Dans le pays pont entre l'Orient et l'Occident, au mois de février, l'hiver est clément. En simple col roulé et jean, je n'ai pas froid. Deux garçons passent devant moi et m'interpellent, me demandent si j'arrive de Russie. Mon teint et mes yeux clairs ont dû les induire en erreur sur mon origine.

Alors que Ageng s'avance vers moi, le temps s'arrête un instant. Je le savais déjà depuis longtemps, mais c'est fou comme les sentiments parent de toutes les qualités l'être qui a volé notre cœur. Je ne sais pas s' il a toujours été beau ou si mon absence d'objectivité à son égard me le rend irrésistible. A distance, derrière sa caméra, je me demandais parfois si j'allais toujours le trouver aussi attirant en vrai. Pourtant, je l'avais déjà vu quasiment quotidiennement lors de mes premières vacances à Istanbul. Je le trouve encore plus séduisant, avec sa veste en cuir qui lui donne une carrure.

" Lulu ! Tu es là, enfin ! "

Depuis que je me suis offert le billet Paris-Istanbul et que la perspective de mon séjour est passée de l'imaginaire au concret, je faisais défiler différents scénarios. Je me demandais s' il allait m'embrasser à mon arrivée, si ce moment de retrouvailles allait être romantique ou gênant, peut-être les deux. Ageng me prend finalement dans ses bras, spontanément et en toute simplicité. Il a l'air heureux. L'odeur de cuir et de masculinité qui émane de sa veste me submerge.

Alors qu'il se tourne pour que je lui emboîte le pas vers le Taksi qui nous attend, je note que je n'avais jamais remarqué qu'il avait d'aussi belles... fesses. Que m'arrive-t-il ? Ce n'est même pas quelque chose que je regarde habituellement chez les hommes. Les choses s'enchaînent. A nouveau, le trajet en taksi de l'aéroport jusqu'à l'hôtel. Ageng qui me prend par le cou, ses yeux d'ange et de Lucifer, pléonasmes, en immersion dans les miens. Alors que ses bras m'entourent entièrement, Ageng interpelle le chauffeur en turc, il a l'air de plaisanter. Le chauffeur répond sur le même ton, la malice et l'affabilité faisant briller ses yeux alors qu'il nous observe à travers le rétroviseur.

- Tu lui as dit quoi ? Je demande.

- Je lui ai demandé de mettre un coup d'accélérateur car je le trouve un peu mou.

Istanbul défile devant moi.

- C'est Sainte-Sophie là ?

- Non. Elle est de l'autre côté, Ageng me désigne l'autre côté de la route. Embrasse-moi.

Le chauffeur qui baisse la lumière de l'arrière du véhicule.

- Le chauffeur éteint la lumière, ne puis-je m'empêcher de relever.

- Oui, il l'a fait exprès pour que l'on soit tranquille. Tu ne veux pas mettre un peu ton cerveau sur le mode off ? Embrasse-moi.

Le reste du trajet passe vite. Alors que je sors de la voiture, je me tourne vers le chauffeur pour le remercier. Dans l'obscurité de la nuit, je distingue à peine son sourire chafouin. J'imagine que nous voir ensemble, Ageng et moi, doit lui rappeler ses anciennes idylles de jeunesse. Ses romances puisées dans les tréfonds de ses souvenirs.

Un jeune homme se tient devant l'Hôtel, et me salue d'un signe de tête poli avant d'échanger quelques mots avec Ageng. Il a l'air gentil mais je ne peux m'empêcher de me crisper. J'ai toujours l'impression que les autres vont avoir un impact négatif dès que je commence une relation avec quelqu'un à qui je tiens. Probablement les restes d'avoir fait les frais, plus jeune, de jugements sévères. Leur acerbité avait eu, à maintes reprises, le venimeux pouvoir de faire changer de regard sur moi les garçons avec lesquels j'avais une histoire. Ma confiance, mon estime de moi, déjà assez faibles à l'époque, ont encore faiblis sous ces coups que les êtres humains ont tant de facilité à se porter entre eux.

Arrivés dans la chambre dotée d'un immense miroir au plafond, Ageng me tend, les yeux pétillants, un petit paquet.

" Joyeux anniversaire en retard ! "

En effet, j'ai eu 26 ans le mois passé. Je porte ma main au visage, sincèrement touchée par l'initiative d'Ageng de m'avoir fait un cadeau d'anniversaire.

- Oh Darling, c'est adorable, mais il ne fallait pas !

Je découvre une parure. Un collier, des boucles d'oreilles et une bague, enveloppés séparément dans des petits sachets de tissu rose. Chaque bijou est composé d'une minuscule pierre bleu foncé, sertie de brillants et enchâssée dans une autre pierre turquoise, elle-même entourée d'un cercle doré. Un ensemble de cercles formant une sorte de boucle de concentrique, dans un style à la fois oriental et romantique.

- Le côté ancien, le bleu, le brillant... Ça me ressemble tellement...

- Qu'est-ce-que tu crois ? Je te connais. Tu sais, si elle t'es trop grande, tu peux aller chez un bijoutier faire rétrécir la bague.

La bague... Tellement symbolique... Le présent d'Ageng m'émeut jusqu'au tréfonds de mon âme.

Après nos élans d'affection, nous nous glissons sous les draps. Nous nous enlaçons, nous embrassons, l'union de cœur et d'esprit qui nous rassemble ne demande qu'à se muer en effusion des sens.

- Ce moment arrive enfin ! Commente-t-il, extatique.

Je ne réponds rien, et entoure de mes bras son cou, et enroule mes jambes autour des siennes, et l'embrasse langoureusement. Arrive le moment où nos corps cherchent à se fondre ensemble.

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant