Chapitre 1

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 Jeudi 26 mars 2015

—Liv, tu vas être en retard ! hurle ma mère depuis le rez-de-chaussée.

Faux. Je suis à l'heure pour une fois. J'ai déjà mes chaussures aux pieds et le bus passe dans deux minutes. J'ai de la marge.

Emmitouflée dans mon écharpe en laine que j'ai tricotée moi-même, je dévale les escaliers. Je m'apprête à franchir la porte quand ma mère m'attrape par la capuche.

—Eh ! m'indigné-je.

—Ton chèque pour la cantine, dit-elle en me tendant une enveloppe.

—Ah. Merci.

Je range l'enveloppe dans la poche de mon manteau avant d'embrasser ma mère sur la joue.

—T'as pris tes clés ?

—Oui, maman, dis-je un pied déjà à l'extérieur.

—Ta carte de bus ?

—Oui.

Je frémis sur place. Je suis prête à courir mais j'attends la dernière question de ma mère.

—Tes lunettes ?

—Dans mon sac. À ce soir, maman !

Je n'entends pas sa réponse. Mes jambes me font franchir le portail en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire. Coup d'œil à gauche. Le bus se dessine au fond de la rue. Trop facile. Je n'aurai même pas besoin de sprinter cette fois.

À l'arrière, Valentine m'a réservé une place.

—J'avais parié avec moi-même que tu le louperais.

—T'es déçue de me voir ?

—Ouais, je préfère me faire chier pendant le trajet. C'est beaucoup mieux, plaisante-t-elle en enlevant son sac du siège pour me faire de la place.

—Moi aussi. Heureusement que je le loupe une fois sur deux. Te supporter tous les matins et tous les soirs ? Impossible. Je pourrais pas.

—Tu te rends compte quand même que t'as l'arrêt de bus juste en dessous de chez toi et que t'arrives quand même à le rater ?

Objectivement, Valentine a raison. Et c'est là tout le paradoxe de ma personne... Autant je déteste quand les gens sont en retard, autant j'arrive toujours à me mettre dans des situations où je me retrouve à être en retard. Allez chercher la logique...

Mais ce n'est pas ce que je réponds à Valentine. À la place, je préfère l'embrouiller :

—Tu connais pas le théorème de la proximité ?

—Le théorème de la connerie, tu veux dire ?

—Non, c'est sérieux. Scientifiquement prouvé, même !

Valentine secoue la tête, exaspérée par mon obstination. Puis, un rictus anime son visage. Oh non. Elle va m'attaquer. Je la vois venir.

—Si le théorème de la proximité c'est : plus Mattéo est proche de toi en classe, moins t'écoutes le cours, alors je suis totalement d'accord.

Mon coude s'écrase dans ses côtes. Elle l'a cherché.

—C'est la chose la plus absurde que j'ai jamais entendue, répliqué-je.

—Moi, je trouvais pas ça absurde quand le prof de maths t'as posé une question et que t'as mis cinq minutes à réagir.

—Je devrais louper le bus plus souvent. J'ai pas signé pour me faire martyriser.

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