Chapitre 2

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 Vendredi 27 mars 2015

Je mets la table quand mon petit frère s'accroche à ma jambe.

—Liv ? Tu fais une partie avec moi ?

Mon regard dévie vers mon père qui remue la salade dans la cuisine.

—On mange dans cinq minutes, Louis, dis-je en lui tapotant le sommet du crâne.

Une moue déforme son visage et ses yeux s'humidifient. Il est fort. Son stratagème est bien rodé. Il sait très bien que je n'arrive pas à lui résister. Le fourbe. Je me fais avoir par un gosse de huit ans. Ce n'est pas demain que je vais conquérir Rome.

—S'il-te-plaît...

Ses petites mains s'enroulent autour de mon avant-bras droit et toute ma détermination à lui tenir tête s'anéantit. Je soupire avant de déposer le ketchup sur la table.

—Papa, on a le temps de faire une partie de Yu-Gi-Oh avec Louis ?

—Vous mangerez peut-être des frites cramées. C'est à vous de voir.

Louis hausse les épaules, presque indifférent à l'idée de manger des frites carbonisées. Peut-être que jouer à Yu-Gi-Oh est à la base de sa pyramide de Maslow. Une étrange façon de fonctionner mais qui ne m'étonne pas venant de mon frère. Il m'a habituée aux plus bizarres des bizarreries. Alors si Yu-Gi-Oh passe avant le besoin de se nourrir, je ne vais pas m'en formaliser.

Mon petit frère me tire par la manche de mon pull jusque dans sa chambre. Au sol, le champ de bataille est déjà installé : le tapis de jeu centré au milieu de la pièce, les decks de cartes parfaitement alignés sur les emplacements prévus à cet effet, la lumière éteinte et les lampes de couleurs allumées. Le décor est tellement incroyable que j'en oublierais presque la faim qui me tiraille l'estomac.

—C'est l'heure du Du-Du-Du-Du-Du-Duel ! s'exclame Louis lorsqu'il s'assit en tailleur de son côté du terrain.

Son enthousiasme m'émerveillera toujours. La lumière changeante peint son visage tantôt de bleu, tantôt de rouge. Je discerne à peine la couleur de ses yeux. Peu importe. Je pourrais dresser un portrait-robot de lui les yeux fermés. Mine de rien, il me ressemble beaucoup.

Il a les même yeux chocolat (chocolat noir selon Valentine), les mêmes joues rebondies et le même nez retroussé que moi. S'ils étaient un peu plus longs, ses cheveux ébène frisés auraient été la copie conforme des miens. Louis est mon double, juste les lunettes et quelques années en moins.

Mais notre ressemblance s'arrête au physique. Niveau caractère, on ne pourrait pas être plus différents. Là où il ose exprimer son avis haut et fort, je suis plutôt du genre à tout garder pour moi. Il aime être sur le devant de la scène alors que je préfère rester en retrait.

Ah si, on a bien un trait de caractère en commun même si on ne le montre pas de la même façon : l'impulsivité. Chez lui, ça se traduit par des idées d'activités loufoques qu'il faut qu'il poursuive dans la minute où elles apparaissent dans sa tête. Chez moi, on est plutôt sur des changements d'avis constants et des décisions prises à la dernière minute.

La partie bat son plein et c'est au tour de mon petit frère. D'une main, il tient ses cartes en éventail et de l'autre, il se gratte le crâne (ça me fait penser à quelqu'un, tiens). Sa concentration est à son maximum. Les yeux plissés, il soupire.

—Je crois que peu importe ce que tu joues, j'ai aucune chance, le rassuré-je.

—Chut ! Liv, il faut jouer jusqu'au bout. Sinon, ça sert à rien.

—Pardon, grand maître. Je me reconcentre.

Je ravale un fou rire et appose une façade sérieuse sur mon visage. Face au grand maître des duels, je ne peux pas prendre ce match à la rigolade. Je vais me battre jusqu'au bout. Ou du moins, je vais faire semblant.

L'Art d'errerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant