Chapitre 4 (1/2)

86 19 48
                                    

11 avril 2015

Mes parents ont dit « oui ».

C'est ma mère qui est tombée sur la feuille que j'avais déposée sur la table de la cuisine avant de partir en cours. Ils n'étaient pas franchement étonnés que je formule ma demande par écrit (oui, c'est un peu une habitude chez moi). Je m'attendais à ce qu'ils me fassent une remarque sur le fait que j'avais passé l'âge d'écrire des lettres pour poser une simple question, mais ils n'ont rien dit.

Parfois, c'est juste compliqué de parler. C'est pour ça que ça m'arrive encore d'écrire des lettres. C'est plus simple et moins stressant. Je peux réfléchir à ce que je veux dire, reformuler mes phrases, tout effacer et recommencer autant de fois que je le veux. Ça à l'oral, c'est impossible.

Je me souviens précisément de chaque lettre que j'ai écrite. La première remonte à mes sept ans. J'avais fait une lettre à ma mère pour lui dire que je détestais aller au centre aéré parce que je n'avais aucun ami là-bas et que je m'ennuyais à mourir (j'ai passé l'été chez mes grands-parents du coup et c'était trop bien). Un peu plus tard, à neuf ans, j'ai écrit à mes parents pour leur demander de ne plus m'emmener chez Léa (une de mes amies de l'époque) parce qu'elle m'énervait. Et plus récemment, je leur ai fait un mot pour me plaindre du bruit qu'ils faisaient le soir quand ils regardaient la télé.

Dire toutes ces choses de vive voix m'a toujours paru insurmontable. Écrire est ma solution pour continuer à me faire entendre. Bizarrement, je réserve cette pratique à mes parents. Pour les autres, même si j'en venais à leur écrire une lettre, je sais que je n'aurais jamais le courage de la leur donner.

J'ai écrit une lettre pour Mattéo par exemple. Oui, je sais, c'est excessif. Mais j'avais vraiment besoin de le faire.

Je vous arrête tout de suite, dedans, il n'y a pas de grosse déclaration, juste une invitation à la conversation et quelques racontages de vie par ci par là. Mais je trouve ça quand même trop intime pour qu'il la lise. En plus, il se moquerait sûrement de moi. Qui écrit une lettre à quelqu'un qu'il connaît à peine ?

Moi apparemment.

Mais c'est de la faute de mon cerveau stupide. Il s'est créé une petite image parfaite de Mattéo et tous les soirs, il me force à y penser.

Alors je vois Mattéo se retourner en classe pour me sourire, je le vois me construire un chemin de bougie rien que pour moi sur un pont. Dans ma tête, il m'a déjà déclaré sa flamme au milieu d'une nuit étoilée, emmenée me promener dans des forêts enchantées et embrassée avec douceur au bord d'un lac.

Tout est parfait dans cette construction de mon cerveau.

En arrivant à la fête de Bastien, je suis frappée de plein fouet par la réalité beaucoup moins parfaite quand j'aperçois Mattéo danser avec Julia, une fille de notre classe.

—Venez, je vous montre où les autres ont posé leurs affaires, propose Bastien.

Je l'ai entendu mais mon corps refuse de réagir. Ce n'est que lorsque Valentine me tape sur l'épaule que je me décide à les suivre dans le couloir. Bastien nous pointe une chambre du doigt.

—C'est là. Posez vos sacs et vos vestes où vous voulez, on verra plus tard pour la répartition des chambres.

Une montagne de sacs et de vêtements est érigée sur un lit deux places. Au sol, rien de moins qu'une mer de bordel. Le moindre centimètre carré est occupé, si bien qu'on ne distingue même plus la couleur du parquet.

La vue de cette chambre m'horripile. Je ne supporte pas le désordre. Ma mère aurait ri si je lui avais dit ça. Elle m'aurait fait remarquer que ma chambre n'est pas non plus la définition même de l'ordre. Et elle aurait eu raison. Le fait est que je déteste le désordre mais que mon incapacité à ranger régulièrement me force à vivre dans un bazar quasi permanent. Ça m'énerve mais je n'arrive pas à faire autrement.

L'Art d'errerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant