Chapitre 3

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Mardi 7 avril 2015

—J'ai vu la prof d'Allemand hier soir, dis-je alors que le bus s'arrête à un feu rouge.

Valentine quitte la route des yeux pour se reconcentrer sur moi. Par réflexe, mon regard se promènent sur ses taches de rousseurs.

—Et alors, qu'est-ce qu'elle a dit ? T'as le tableau avec toi ?

—C'est la première à me conseiller une filière littéraire. Je sais pas trop quoi en penser.

J'extirpe la feuille de brouillon pliée en quatre aux bords légèrement abîmés de mon sac, puis la tends à mon amie.

—Il te reste plus que la prof de sport...

—Ouais... Je suis pas sûre que son avis change la donne. Savoir ce que les autres projettent pour moi m'aide pas vraiment à savoir ce que je veux, moi.

—C'est bientôt les vacances, ça t'aidera peut-être à réfléchir ?

—Je sais pas.

Plus la date fatidique de l'orientation se rapproche et plus je perds espoir. Quoique je fasse, j'aurais l'impression de faire le mauvais choix. Après les vacances, je vais devoir inscrire mes vœux sur papier, les classer dans un ordre de préférence. Je n'en suis pas capable.

Est-ce que je dois me laisser influencer par le choix des autres ? Tout le monde me bassine que la filière scientifique est faite pour moi. Mais est-ce suffisant pour que je les croie ? Pour que j'y croie moi-même ?

Sans se préoccuper du bruit qu'elle fait, Valentine réduit la feuille de brouillon en boule.

—Qu'est-ce que tu fais ? lui demandé-je.

—Je me débarrasse de ta source de stress. N'y pense plus. Au moins jusqu'aux vacances.

Notre bus arrive à destination. Une fois descendue, je lance un regard perplexe à Valentine.

—Tu sais très bien que je peux pas ne pas y penser.

Elle hausse les épaules.

—Il faut que tu trouves des activités qui te permettent de penser à autre chose.

Pourquoi avance-t-elle ça comme si c'était la chose la plus simple à faire ? Penser à autre chose est impossible. Même en faisant du tricot, même en bricolant, même en regardant un film ou une série, je n'arrête jamais d'y penser. Mon cerveau ne me laisse aucune pause. Tant que le problème n'est pas résolu, mes pensées resteront saturées par toutes ces questions sans réponses sur mon orientation.

—Je sais pas penser à autre chose.

—Ok, tu sais quoi ?

Valentine trottine pour se poster devant moi. Nous sommes arrêtées en plein milieu du trottoir. De chaque côté, des passants nous frôlent sans faire attention à nous.

Je sais que Valentine me parle mais mon regard est attiré par une silhouette au bout du chemin. Cette même silhouette qui m'accompagne dans mes rêveries avant de dormir. Mattéo est trop loin pour que je capte tous les traits de son visage, je l'ai d'abord reconnu grâce à sa démarche, puis, ses cheveux bruns qui chatouillent son cou m'ont confirmé qu'il s'agissait de lui.

Un garçon bien plus grand, au moins une tête de plus que lui, le rejoint et je reconnais sans mal Samuel. Après s'être salués, ils disparaissent derrière les murs du lycée et je finis par capter la voix de Valentine.

—Eh, t'es avec moi ? demande-t-elle en agitant sa main devant mon visage.

Je cligne des yeux pour me concentrer.

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