Chapitre 4 (2/2)

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A une heure du matin, je trouve refuge sur le banc au fond du jardin, celui sur lequel Mattéo et moi avons passé quelques instants tout à l'heure. Emmitouflée dans mon plaid que je suis partie chercher dans mon sac, je m'imprègne des souvenirs de cette soirée. Les yeux fermés, je laisse mon esprit vagabonder.

Je vois de belles images, comme celle de Mattéo qui me dit qu'il trouve le tricot cool ou celle où il me prend la main pour me guider. Mais ce ne sont pas celles qui prédominent dans ma mémoire. Les belles images se laissent ensevelir par les mauvaises, celles qui me rappellent que je ne suis pas fun, pas intéressante.

Je n'ai pas dansé, je n'ai pas bu et je n'ai pas battu de record loufoque. Je me suis fondue dans la masse sans me fondre dans la masse. J'étais à la fois dedans et dehors, présente et absente, comme les autres et comme personne. J'ai essayé mais j'ai échoué. Je n'ai pas ma place ici.

—Eh, regarde ! C'est Liv là-bas. Liiiiiiiv !

Je rouvre les yeux et aperçois Samuel me faire des signes depuis la terrasse en s'accrochant à Mattéo. Vu d'ici, il n'a pas l'air très frais. Mattéo non plus à vrai dire, mais il le soutient, ou du moins, il tente de le soutenir.

Avec une trajectoire approximative, ils s'approchent de moi.

Mon Dieu, ils empestent l'alcool.

—Yo, Olivia Ruiz, ça gaze ?

—Sam, tais-toi.

Le coude de Mattéo s'enfonce dans les côtes de Samuel.

—Eh, pourquoi tu me frappes ?

—Parce que t'es con quand t'es bourré.

Samuel prend un air exagérément outré.

—Drôle, je veux bien, mais con... T'abuses un peu. Tiens, on a qu'à demander à Liv !

Il ne m'appelle jamais Liv en temps normal, toujours Olivia, ou rien du tout. A croire que le Samuel bourré se sent plus proche de moi que le Samuel sobre. Je trouve ça drôle.

—Liv, Liv, Liv, toi qui es super intelligente et super impartiale, est-ce que tu dirais que je suis con ?

La question me prend au dépourvu. Non, bien sûr que non, il n'est pas con. Il n'y avait qu'à voir ses résultats en cours. Il n'est peut-être pas le plus brillant de la classe mais il n'est certainement pas con. Et surtout, il a une chose que je n'ai pas : l'aisance à l'oral. Ça m'a toujours impressionnée et c'est, de surcroît, une grande preuve d'intelligence. Il maîtrise l'art du contact visuel, sait organiser ses pensées et les présenter de manière claire et compréhensible devant n'importe quel public. Samuel n'est pas con.

—Non, t'es pas con.

—Ah, merci ! Tiens, dans ton cul !

Mattéo rit puis lâche Samuel avant de s'asseoir sur le banc à mes côtés. Ce banc restera imprimé dans ma mémoire. C'est notre banc. Plus tard, on l'appellera « le banc où tout a commencé ».

Son regard pèse sur moi mais je n'ose pas tourner la tête pour lui faire face.

—Qu'est-ce que tu fais dans le jardin toute seule ? Ça va ?

—Ouais, je suis bien là.

—Je suis content que tu sois venue ce soir, tu sais.

Sans le regarder, je souris. Je prie pour que la nuit noire ne lui permette pas d'entrevoir mes joues rosies. S'il doit comprendre que je suis intéressée, il ne faut pas qu'il croit que je m'emballe trop. J'ai lu sur un forum qu'un emballement précoce pouvait faire fuir. Je dois éviter ça à tout prix. Surtout que jusqu'ici, je m'en sors plutôt bien. Il n'a pas l'air de s'ennuyer à mes côtés. Si c'était le cas, il m'éviterait. Or, il est là. Sur ce banc. Avec moi. Et il est content que je sois là. Sur ce banc. Avec lui.

L'Art d'errerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant