Chapitre 35

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Samedi 21 janvier 2017

J'ai des étoiles plein les yeux. Ça fait une heure qu'on est rentrés des portes ouvertes de l'EESIG et je n'arrête pas de me repasser en boucle toutes les images de la journée.

L'accueil par les étudiants, la présentation de l'école en amphi, la visite guidée, les expériences scientifiques, les témoignages d'anciens élèves : tout était incroyable.

Voir l'école de ses propres yeux, s'imprégner de l'ambiance, ça fait vraiment toute la différence.

Hier, l'EESIG n'était encore pour moi que des mots sur un site internet, un concept, une possibilité abstraite. Aujourd'hui, je m'y projette. Je me vois fouler les couloirs pour me rendre à mon cours de chimie, passer mes mercredi après-midi au BD Arts et peut-être même participer aux soirées dans le foyer.

Moi, étudiante... Ça devient palpable, réel. Une Olivia qui sait plus ou moins ce qu'elle veut faire, ça existe. Je la touche des doigts. C'est fou parce que j'ai tellement galéré dans la recherche de mon orientation ces trois dernières années que j'avais presque fini par me dire que je n'arriverais jamais à faire de choix, que je resterais bloquée en terminale pour toujours.

Mais non. Dans quelques mois, ma période lycée touchera à sa fin et une nouvelle page se tournera. Je ne suis pas encore prête mais je m'y prépare et avec l'EESIG en tête, c'est plus simple.

Les semaines suivantes, je me conforte dans mon choix en regardant toutes les vidéos disponibles sur l'école. Je me bourre le crâne jusqu'à avoir envie de vomir tous les acronymes de chaque spécialité par les trous de nez. Mais au moins, j'ai un nom d'école, j'ai un choix.

Ça plaît beaucoup à mes profs qui m'ensevelissent de « ah je savais qu'ingénieure, c'était fait pour toi ». Je leur souris parce que je ne sais pas quoi leur répondre mais en même temps je me demande si c'est vraiment fait pour moi ? Parce que si ça me correspondait tellement, ça aurait dû être une évidence depuis le début, non ? Pas une découverte faite après trois ans de pure galère.

J'essaye de me rassurer en me disant que les doutes font partie du processus, que ça ne veut pas dire qu'il faut que je reconsidère entièrement ma décision. C'est peut-être comme pour l'asexualité, j'aurais toujours des doutes, des questions en suspens.

Peut-être. Ça contredit tous les mécanismes de mon cerveau à la recherche de la certitude pure mais ok, partons sur un peut-être. Ce n'est pas comme si j'avais le choix de toutes manières.

***

Mardi 28 mars 2017

Je retire tout ce que j'ai dit. Le « peut-être » ne fonctionne pas avec l'orientation. Pas pour moi. J'ai été bête de croire que je pouvais laisser ma vie couler en m'appuyant sur un « peut-être ». Parce que ce que je n'avais pas prévu, c'était qu'une incertitude positive pouvait très vite passer du côté obscur de la force.

En l'occurrence, le « peut-être qu'ingénieure est fait pour moi » s'est très rapidement transformé en « peut-être que ça ne l'est pas ». La transformation est si parfaite que l'incertitude commence même à s'effacer et que je me retrouve à faire face à :

« Ingénieure, ce n'est pas pour toi, Olivia ».

C'est le pire scénario qui aurait pu arriver. Je dois valider mes vœux dans deux jours. Deux jours !

Je serre les poings pour me retenir de frapper mon écran d'ordinateur et étouffe un cri de frustration dans mon épaule.

C'est pas possible... J'avais trois ans pour trouver ce que je voulais faire et j'ai échoué. Maintenant, la seule chose que je peux faire, c'est m'accrocher à ces deux jours en espérant qu'ils suffiront à effacer le brouillard de mon esprit.

L'Art d'errerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant