Chapitre 34

18 7 3
                                    

 Vendredi 23 décembre 2016

—Tu peux me passer le mètre ? me demande mon père, la tête sous le bureau de mon frère.

En assistante exemplaire, je m'exécute immédiatement.

—Tu notes ?

—Oui, attends, je prends juste un stylo.

Un crayon de couleur en main, je donne le feu vert à mon père.

—58 cm en hauteur et 17 en largeur.

—C'est noté !

Veillant à ne pas se cogner, mon père se relève avant de se laisser tomber sur un tabouret. Au même moment, ma mère et Louis pénètrent dans la pièce.

—Eh bah ! Ça avance bien, s'exclame ma mère.

—Il nous reste plus qu'à déplacer le bureau et à monter les étagères et les portes de l'armoire, confirmé-je.

Pendant que certains occupent leurs vacances de Noël à faire des gâteaux et à les manger, chez nous, on les passe à rénover la chambre de mon petit frère. Apparemment, son décor dinosaure commençait à lui sortir par les trous de nez. Je peux le comprendre.

Avant-hier, il a choisi la couleur de ses murs (trois gris et un violet) au magasin de bricolage du coin. On s'est mis au travail dans la foulée. J'en ai encore des courbatures. Peindre une chambre, c'est long. Heureusement que mon père était là pour m'aider.

Maintenant que les murs sont secs, on s'attaque à l'aménagement. C'est la partie que je préfère. Ma mère déteste ça mais personnellement, j'adore monter des meubles.

—C'est l'heure du goûter ! s'enthousiasme Louis en brandissant son réveil en l'air.

—Faites une pause si vous voulez, moi, je continue.

Je déteste m'arrêter alors que je suis sur ma lancée. Si je fais une pause, ça cassera mon élan.

Ma mère nous jauge, Louis et moi, puis soupire.

—Je vais chercher le café et les gâteaux. Liv, tu veux boire quelque chose ?

—Juste de l'eau.

Quelques minutes plus tard, des notes de cafés et de pépites de chocolat se promènent dans la chambre de mon frère. Entre deux bouchées de cookies et une pose de charnière, je me souviens qu'il faut que je parle des portes ouvertes de l'EESIG à mes parents. C'est rare que j'y pense quand ils sont à côté de moi alors c'est une occasion en or pour aborder le sujet. Sans poser mon tournevis, je leur explique brièvement le type de formation que l'école propose et pourquoi je me verrais potentiellement étudier là-bas l'année prochaine.

Comme à son habitude, Louis pose des questions après chacune de mes phrases. Mes parents, eux, m'écoutent religieusement. Quand j'évoque les portes ouvertes, leur enthousiasme dépasse presque le mien.

—La journée est bloquée ! s'exclame ma mère, une étagère en main.

Mon père pose son café sur le bureau avant de se rapprocher de moi et de poser sa main sur mon épaule.

—Je suis content que tu trouves quelque chose qui te fait envie.

Un sourire imprimé sur le visage et le cœur sur un petit nuage, je laisse tomber ma tête contre le torse de mon père.

J'aime les vacances pour ce genre de moments en famille. On a le temps de se réunir, de prendre le temps de discuter, de se reconnecter. C'est tellement précieux.

Mon père est dans son élément, mon frère s'épanouit en nous traînant dans les pattes et même si je sens ma mère encore fragile, je sais que ces vacances lui font du bien. J'adore cette vie. Loin des cours, loin du stress du bac et de l'orientation. C'est parfait.

—Raah, c'est pas possible, y'a pas un autre tournevis ? Ça marche pas là, ronchonne ma mère.

Je me retourne et découvre ma mère en pleine bataille avec les fixations des étagères de l'armoire. C'est une mission pour moi.

—Attends, j'essaye.

Ma mère s'écarte sans se faire prier et s'assoit sur le lit, pendant que je prends la situation en main.

—J'ai pas la patience, moi, pour des trucs comme ça.

La patience, c'est bien quelque chose qu'on n'a pas en commun avec ma mère. Alors que je peux passer des heures, complètement absorbée par une tâche, ma mère ne tient pas plus de cinq minutes à faire la même chose, encore moins si ses essais ne sont pas concluants du premier coup.

Avec un peu de concentration, je parviens à visser toutes les fixations.

—Et voilà ! dis-je, toute fière de moi.

—Bon bah si l'école d'ing' c'est pas ton truc, tu sauras que tu peux toujours faire un truc manuel, plaisante ma mère.

Je ris avant de surenchérir :

—C'est vrai qu'une entreprise de montage de meubles, ça peut être pas mal.

—On pourra s'associer, ajoute mon père.

—Parfait, j'ai mon plan B !

***

Mardi 27 décembre 2016

Mattéo : https://open.spotify.com/show/kbebfigbie?dkk

Mattéo : J'ai trouvé ce podcast qui parle d'asexualité

Mattéo : Y'a des épisodes super intéressants si t'as envie d'aller écouter

J'ai deux choses à dire sur le message que Mattéo m'a envoyé ce matin. 1) Il a fait des recherches sur l'asexualité et ça me touche beaucoup. 2) Le podcast qu'il m'a partagé est une découverte phénoménale.

J'ai écouté trois épisodes aujourd'hui et dans le dernier, l'une des hôtes du podcast dit :

« Les questionnements autour de notre identité, ça ne s'arrête jamais. On n'arrive jamais à un point où on ne se pose plus aucune question. Par contre, on peut atteindre un stade où on est ok avec le fait que nos questionnements ne s'arrêteront jamais. »

Et ça... Ça change tout !

Dans ma tête, je catégorisais les questions flottantes comme des preuves suffisantes pour invalider mes sentiments et me faire sentir illégitime à m'identifier en tant qu'asexuelle.

J'avais tort.

Je ne suis pas la seule à me poser des questions, à avoir des doutes, à retourner mon cerveau à la recherche d'une faille.

Alors à présent, mon but ne sera plus d'effacer tous mes questionnements, je veux juste accepter le fait que les questions continueront de m'assaillir. Toujours.

Dans l'acceptation de l'incertitude, je trouverai ma certitude.  

L'Art d'errerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant