Chapitre 8 (2/2)

70 13 40
                                    

 Avec deux chocolats chauds fumants juste devant moi, je me sens nettement mieux que tout à l'heure sur le ponton.

Pour un samedi après-midi, le Fox Coffee est étonnamment peu occupé. A part quelques fumeurs en terrasse et un couple de retraités près de l'entrée, il n'y a pas foule. Ce n'est pas la première fois que je viens dans ce café. L'ambiance m'a toujours apaisée. En quelque sorte, c'est rassurant de me retrouver ici avec Mattéo. Pour une fois, j'ai un point d'ancrage, je connais les lieux.

Si les mots peinent à venir ou si son regard me désarme, je pourrais toujours me plonger dans la contemplation de l'accumulation de tableaux et de bibelots en tout genre. Je pourrais trouver du réconfort dans le mur en pierre ou dans le tapis style persan. Les façons de m'évader ne manquent pas.

—T'as d'autres peurs qu'il faudrait que je connaisse ? me demande-t-il en tournant sa cuillère dans sa tasse. Imagine, je t'emmène quelque part en hauteur et t'as le vertige, je me sentirais super con quand même. Un peu comme aujourd'hui quoi.

—Désolée...

Je baisse la tête vers ma tasse et la fait glisser vers moi.

Des peurs ? J'ai peur des araignées mais bon, ça n'a rien d'étonnant. Des milliers de gens partagent cette peur.

—J'ai peur des oies, balance-t-il avant que j'aie fini ma réflexion.

—Des oies ?

—Ouais... Y'a deux ans, on se promenait au Plan d'Eau avec mes parents et y'avait des oies près du rebord et j'ai un peu fait le con, j'ai couru juste devant et y'en a une qui a fini par me suivre. Bilan : je me suis fait bouffer le cul.

Mes yeux s'arrondissent alors que je tressaute en me retenant d'exploser de rire.

—J'ai gardé un bleu pendant trois semaines. J'avais même du mal à m'asseoir toute la première semaine.

Je manque presque de m'étrangler en avalant ma gorgée de chocolat chaud. Je m'imagine Mattéo en panique totale courir autour du Plan d'Eau, l'oie à ses trousses. J'aurais détesté être à sa place mais rien que pour ce fou rire, l'expérience valait le coup.

—C'est original comme peur au moins. Pas tout le monde peut se vanter d'avoir peur des oies.

—Tu te vantes de tes peurs, toi ?

Je me laisse réfléchir un moment à sa question. Il la pose comme si la réponse était évidente mais dans ma tête elle ne l'est pas du tout. Je pense sincèrement qu'il est possible de se vanter de ses peurs. J'ai même l'impression qu'il existe une sorte de surenchère des peurs, un peu comme un concours de celui qui aura la peur la plus insolite, la plus ridicule, la plus drôle... C'est ce que j'ai pu constater lors de discussions avec des amis. Les peurs loufoques suscitent beaucoup l'intérêt des gens.

Avoir peur du noir, c'est banal. Avoir peur des pommes, ça l'est nettement moins. Alors forcément, ça intéresse les gens.

Il m'est déjà arrivé d'avoir eu envie de m'inventer une peur pour qu'on s'intéresse à moi, pour que je marque l'esprit des gens. Si dans la tête de quelqu'un je devenais « la fille qui avait peur des peaux de bananes » par exemple, au moins cela ferait de moi quelqu'un dans l'esprit de cette personne. J'existerais. Parce que parfois, c'était à se demander si on me remarquait vraiment.

—Je sais pas, parfois, quand t'as une peur qui sort du commun, ça marque les esprits.

Après avoir considéré ma réponse, il me donne raison :

—Non, c'est vrai. Ça me fait penser à Juliette et sa phobie des pulls à capuche.

—Ah mais oui ! Elle nous l'avait raconté à Valentine et moi, la première fois qu'on a mangé ensemble à la cantine.

L'Art d'errerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant