Chapitre 32 (suite)

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Jeudi 3 novembre 2016

—Mattéo il t'a dit quoi ? me demande Valentine.

Je laisse mon regard glisser sur les arbres qui défilent à travers la vitre du bus avant de lui répondre.

—Qu'on avait le temps, que c'était pas grave.

—C'est une bonne réaction de sa part, souligne Rose en face de moi.

Je hoche la tête.

—Il a raison, reprend Valentine. Y'a rien qui presse. Laisse-toi le temps.

—Ouais mais tu vois, j'ai pas l'impression que le temps puisse faire grand-chose pour ça. Je sais pas... Pour d'autres trucs, j'ai aucun doute sur le fait que le temps peut aider mais là, je suis pas sûre... Genre tu vois, lui, même s'il se sent pas prêt à ce qu'on couche ensemble, il sait que c'est quelque chose qu'il se voit faire. Moi, ça me paraît impensable. Enfin, impensable, c'est pas le mot, mais ça me fait un truc bizarre quand j'y pense.

Valentine fronce les sourcils.

—Comment ça bizarre ?

—Je sais pas... La configuration, sa peau sur la mienne, qu'on soit si proche, qu'on se touche comme ça, c'est pas naturel dans ma tête. Et puis, juste, ça m'attire pas quoi.

—Bah après, tu l'as jamais fait, donc c'est normal que ça te paraisse bizarre, fait remarquer Rose.

Je souffle en resserrant ma queue de cheval. Cette discussion tourne en rond. Je sais qu'elles essayent de me comprendre mais le fait est qu'elles ne me comprennent pas. Elles ne ressentent pas ce que je ressens. Je ne leur en veux pas mais c'est frustrant, surtout que je dois expliquer des choses que j'ai moi-même du mal à saisir.

Je rêverais que leur cerveau fonctionne comme le mien, qu'à chacune de mes explications bancales, leur regard brille de compréhension. A la place, j'ai le droit à des froncements de sourcils et à des demi-sourires compatissants. C'est bien mais c'est frustrant. Je crois que je suis condamnée à partager mes pensées sans jamais recevoir un « je comprends » en retour.

—Je vais faire une comparaison nulle mais peut-être que ce sera plus parlant. Genre les tripes de mouton, c'est quelque chose que j'ai jamais goûté mais quand je m'imagine en manger, ça me donne pas du tout envie quoi. Enfin quand j'en vois, ma réaction c'est pas « oh mon dieu, j'ai trop envie d'en manger ». Vous voyez le genre ?

—Genre ça te dégoûte d'y penser ? m'interroge Valentine.

—Non, pas à ce point. Ça me dégoûte pas mais je sais pas, j'arrive pas à expliquer.

Un long soupir s'échappe de moi. C'est fatiguant d'essayer de mettre des mots sur des sensations si floues.

Rose perçoit mon embarras et pose sa main sur mon genou pour me rassurer.

—Peut-être que le temps changera pas comment tu te sens par rapport au sujet mais peut-être que ça t'aidera à y voir plus clair et mettre des mots sur ce que tu ressens.

Je hoche la tête. Elle a raison.

J'ai le temps. Et pas le temps de voir venir avant qu'on couche ensemble, comme la plupart des gens sur le forum tentaient de me faire comprendre, mais plutôt le temps de mettre en lumière ce que je ressens. Recentrer les choses sur moi et écarter le jugement des autres : voilà ce que je dois faire.

***

*Boîte mail d'Olivia*

Le 12/12/2016, 14h21

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