Chapitre 10

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On s'est rencontré dans le pire endroit, le pire jour et au pire moment.

Dans cette maison insalubre, un jour de rentrée scolaire, alors que la pluie inondait les trottoirs de la ville et que j'étais tout simplement déprimer. Comme lui ce jour-là.

On avait tous les deux devant nous la pire version de l'autre quand on s'est rencontré.

On s'est engueulé, battue, pleurer et on a pris le temps de ce regardé dans les yeux seulement quand le sang avait enfin fini de couler.

Ses yeux étaient embués. Je suis sûr qu'il voyait flou à ce moment tellement qu'il retenait ses larmes. Ses iris étaient d'un noir infini comme le néant. Quiconque aurait pu se perdre à l'intérieur, je pense. Son regard se voulait dur, intimidant. Mais les reflets de la tristesse à l'intérieur rendaient plutôt son regard incroyablement triste.

Durant cet échange presque intime, on s'est rendu compte qu'on faisait juste pitié. La honte venant nous faire frissonner de gêne.

Je n'étais pas bien grand à l'époque, j'avais juste une grande gueule. Donc, évidemment, il avait tout pour gagner ce combat et m'exploser la mâchoire. Il aurait clairement pu me frapper à mort. Il aurait pu. Qui serait venu me chercher ?
Personne.

Mais il ne l'a pas fait. Il ne m'a pas tué. Il s'est seulement assied à côté de moi, dans un silence de plomb.

Puis, j'ai murmuré la seule chose que je savais dire quand rien n'allait et qu'il n'y avait rien à dire.

« - Pardon. »

Un simple pardon.

Pathétique, sans sens, sans motivation, sans réel penser. Juste, pardon. Un pardon pour ne pas qu'il change d'avis et veuille finalement me tuer.

Et il a répondu le même mot par la suite. Avec la même intonation que moi.

« - Pardon. »

Pathétique, sans sens, sans motivation, sans réel penser. Juste, pardon. Un pardon pour ne pas m'effrayer encore plus.

On se sentait con, on était honteux. Mais le sourire qu'il aborda me fit vite changer d'avis. Un faible rire s'échappa de ma bouche et le sien me rejoignit. C'était un rire franc, sans hypocrisie, un rire contagieux.

Il m'a souri avec le sourire pur, et naïf d'un gamin de 5 ans sur son visage d'ado de 17 ans.

Il n'y avait aucune logique à notre rencontre, aucune.

Je pense qu'on aurait pu rester côte à côte dans la même position pendant des jours entiers.

Ma tête reposant sur son épaule sans aucune gêne, il m'aurait mal regardé au début, (ça se voyait clairement qu'il n'aimait pas être touché et qu'il était très peu tactile) mais après quelques minutes et quelques insultes sur mon comportement qu'il aurait qualifié de ''gay'', il m'aurait laissé dormir sur son épaule. Et on aurait parlé pendant des heures de rien.

Ça se serait sûrement passé comme ça, si seulement on avait eu le temps.

Si seulement le ciel n'avait pas arrêté de pleurer.

Car quand celui-ci sécha ses larmes, il partit directement courir dans sa douleur. Ses pas sur le marbre et l'eau mouillant la semelle de ses baskets.

La seule chose que j'ai pu retenir de lui, son nom et l'école dans laquelle tout le monde va.

Baptiste...

Ça m'a quand même suffi pour le retrouver. Entre deux cours, celui de français et lui d'art, on s'est croisé du regard, et d'un sourire on s est salué.

On s'est recroisé dans la file de la cantine, on a parlé jusqu'à ce qu'on nous serve, on a rigolé jusqu'à ce que la cloche sonne et je l'ai regardé partir jusqu'à ce qu'il se mélange aux autres élèves.

La dernière cloche de la journée avait fini par sonner après ce qui semblait être des années. Mais elle a tout de même fini par sonner.

Car tout prend fin à un moment. Car tout se finit à un moment. Que l'histoire sois courte ou très longue, elle se finira quoi qu'il arrive. Car chaque livre a une fin. Le livre de la vie aussi.

Tout prend fin.

Une fin causée par une amoureuse déçu, par une ex toxique, par un flirt en trop, par des tromperies, par une amitié corrompu, par la mort.

Qu'importe, il y aura certainement une fin.

Mais là, ce n'était que le début, et j'avais donc bien le droit d'espérer une amitié avec lui. Pour avoir une fin, il faudrait déjà y avoir un début. Triste ou heureux, un début quand même.

Il m'a demandé de quel coin de la ville je venais et j'ai répondu là où les gens squattent. Là où tous les adolescents en fugue traînent et là où personne n'aime rester la nuit.

Je comptais passer ma nuit seul là-bas en vrai, mais ce gars, Baptiste, m'a proposé de passer cette nuit avec lui et sa bande, au bord de la rive ou le soleil doré borde l'eau.

J'ai accepté, car je préférais de loin la couleur turquoise et bleu clair de la mer que le gris triste et le rouge sang de la misère.

C'est comme ça que, marchant côte à côte, je partais avec ce gars presque inconnue dans un endroit trop beau pour une première sortie entre potes.

Les voix des gars autour de nous étaient fortes et graves, imposantes. Mais je n'écoutais que celle de Baptiste. Sa voix à lui était impressionnante, rassurante, joueuse.

Il parlait, parlait et parlait de tout et de rien.

Il parlait d'arrêter de fumer, une clope en bouche. Il parlait de se mettre plus sérieusement aux études en brûlant le devoir de français qu'il devait faire. Il se disait ouvert d'esprit, mais sur certains sujets, c'était le gars le plus renfermé que je connaissais.

Il parlait sans vraiment être. Perdu dans ce qu'il pensait être sa personne.

Il voulait plaire à tout le monde.

Il voulait plaire aux plus jeune, aux gars de notre âge, aux plus vieux.
Il voulait plaire aux rebelles et aux plus sage.
Il voulait plaire à sa famille, à ses amis et aux inconnus.

Il voulait me plaire.

Il voulait me plaire sans se plaire à lui-même.

Et je ne savais pas quoi en pensée en réalité. Je ne voulais pas une copie conforme de moi à qui parler. Je voulais le gars qu'il pensait être, le gars avec ses défauts, et ses qualités. Pas les miens. Je ne voulais pas parler à ce qu'il prétendait être.

On a discuté longtemps. Même trop. Jusqu'à ce que ces potes qui sont devenues mes potes avec le temps, nous laissent en «amoureux», comme ils l'ont dit.

Ça a dégoûté Baptiste. Réellement. Ça se voyait dans ses yeux et dans sa mâchoire serrer. Il déglutit et les traita de toute sorte de nom dans un chuchotement presque silencieux.

- T'es homophobe ?

Il voulait tout de même me plaire.

- Non, je ne le suis pas.

Il me le dit avec un simple sourire. Un sourire voulant me mettre en confiance.

Mais derrière ce sourire, je voyais la peur et la colère dans ses yeux.

J'avais beau avoir moins d'expérience que lui au niveau social, je voyais clairement ce qu'il cachait.

Mais bon, qui étais-je pour dire à ce gars, que moi-même j'admirais, qu'il mentait ? On ne se connaissait pas assez pour tenter le coup.

Je ne pouvais donc pas lui dire ce que je pensais par rapport à son comportement plus que suspect.

Alors on a parlé. On s'est observé. On a rigolé jusqu'à ce que le soleil se relève.

Dans chacun de ses mouvements dur et droit, il se cachait un doute profond. Chaque mouvement, un petit tremblement incertain, camoufler par sa voix confiante.

Il savait parlé. Très bien même, ça lui rajoutait un charme que toutes les meufs, avec qui il disait être sorti, aimaient. Chaque fois qu'il leur disait bonne nuit, elles s'endormaient avec un sourire niait.

Il se ventait de sa réputation et de son jeu d'acteur auprès d'elles. Il cherchait à m'impressionner avec le titre du bad boy lover.

Mais s'il croyait avoir réussi à m'impressionner, il avait clairement raison.

J'étais impressionné, c'est vrai, mais pas pour son titre merdique.

Plutôt par sa façon de cacher sa haine.

Sa façon de cacher entre deux anecdotes à mourir de rire, une phrase remplie de détresse.

Il parlait de son père qui lui criait toujours après juste car il préférait jouer aux jeux vidéo au lieu de remplir les pages de devoir de maths.

Il rigolait clairement de ça, disait qu'il le trouvait con à chaque fois que la haine déformée les trait du visage de son père.

- Il est trop con aussi ! Putain ! Genre, le gars, le seul truc qu'il sait faire, c'est frapper les autres. Après il se pleins que y a personne dans notre famille qui se sent à l'aise à ses côtés. Comme la prof de français un peu. Eh, frère, la prof de français, elle met trop la pression pour rien. Askip, elle sort avec le prof de géo aussi. Comme quoi les opposés s'attirent. Même ceux extrême.

Il aimait changer de sujet comme ça, évitant de parler de lui quand il se rendait compte qu'il en disait peut-être trop.

- T'aimes le prof de géo?

- Oui... Il est cool.

Il est cool.

Quand il a dit cette phrase, je n'avais pas cherché à savoir pourquoi il le trouvait cool. Mais j'ai compris quelques temps après qu'il le trouvait cool car c'était le seul qui lui donner cette certaine affection paternel qu'il cherchait.

C'était son père, ou du moins, il aurait voulu que ça le sois on aurait dit.

Je ne me suis jamais penché sur le sujet de sa vie familiale. Même quand il me demandait de dormir chez moi avec le nez sanglant.

J'ai toujours fermé les yeux sur ça, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie.

Car Baptiste a toujours eu du mal quand il s'agissait de parler de son entourage. Famille, ami, inconnue, pour lui, c'était la même chose, le même problème, la même peur.

C'est quand même avec le temps qu'il a fini par s'attacher à certaines personnes. À moi, Corentin et Arif, à nous. Il disait qu'on était même plus que sa miff. On était plus, c'est tout.

Il le disait entre deux anecdotes.

Jusqu'à ce que cette bande d'amis qu'on était devînt un vague souvenir. Que tout le monde voudrait oublier.

Un souvenir oublié.

Qu'on voudrait oublier plutôt.

Car pour moi, il traîne encore dans chaque coin de cette ville.

-À suivre-

Drogue Nostalgique. [Lockzie]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant