Prologue (1/2)

23 2 1
                                    

Babylone, plusieurs siècles avant notre ère (au sud-est de l'actuelle Bagdad, Irak)
- Nemrod! Nemrod!
La foule massée devant le palais scandait depuis plusieurs semaines le nom de son défunt roi, sous le soleil écrasant de Babylone. Jeunes et vieux emplissaient la place et les jardins qui s'étalaient en larges esplanades alentours, dans l'air étouffant de ce mois d'été. Les mêmes scènes de deuil officiel se répétaient, comme le voulait la tradition, à la mort d'un roi, en ces temps éloignés, plusieurs millénaires avant notre ère. La ville entière était plongée dans le déroulé des cérémonies publiques, qui se succédaient sans relâche. Pendant ce temps, dans le palais, les embaumeurs préparaient le mort, pour l'apothéose qui serait rendue lors de la mise au tombeau du corps momifié. Il serait accompagné des ustensiles, des bijoux et des objets précieux qui composaient ce que le monde moderne appellerait un « trésor », mais qui constituait, du point de vue des gens de cette époque, le capital dont le défunt aurait besoin, dans sa vie de l'au delà.
Dans les rues de la ville et dans ses jardins, les babyloniens manifestaient un chagrin de circonstances : une douleur feinte, pour le respect du protocole. Les sujets de Nemrod pleuraient sa mort, en apparences, tout en l'accueillant, en leur for intérieur, avec un grand soulagement. Car Nemrod était l'un des plus terribles tyrans de tous les temps.
Des rangées de gardes royaux quadrillaient l'espace. Ils se remarquaient par leur long pagne blanc remontés sur l'épaule droite, et leurs cheveux courts, qui tranchaient avec les tissus bigarrés de la foule. Les hommes se distinguaient par la richesse de leurs ornements, et par leur coiffure, plus ou moins sophistiquée, qui indiquait leur rang. les plus fortunés portaient de nombreux bijoux et les cheveux longs, frisés au fer, avec une barbe ondulée. Les femmes étaient coiffées en chignons, habillées de tuniques à manches courtes, couvertes d'un châle à franges dont elles s'enroulaient le corps. Hommes et femmes avaient sortis leurs plus belles parures, boucles d'oreilles, bague à chaque doigt, colliers à trois ou quatre rangs, ornés des amulettes caractéristiques de Babylone, des petits rouleaux d'argile incrustés de rubis, de saphir ou d'émeraudes. Ils martelaient le sol avec leurs sandales aux lacets montants jusqu'à la cheville, le gros orteil maintenu par un anneau, provoquant des nuages de poussière, qui se mêlait au sable du désert. L'atmosphère, déjà surchauffée de pleurs et de cris, en devenait irrespirable. Aux grains de sable et aux remous de la foule s'ajoutaient les graines végétales des fleurs et des arbres, parmi lesquelles virevoltaient les nuées de moustiques qui envahissaient la ville et ses jardins, cette année là.
Les fameux jardins suspendus de Babylone, que le monde antique comptait parmi ses Sept Merveilles, et dont aucun historien moderne n'allait retrouver la trace, n'étaient-ils pas autre chose que les jardins étagés du palais du roi, infestés de moustiques, détail beaucoup mins glamour, mais peut être plus réaliste? L'Histoire est percluse de ce genre de petites choses qui viennent soudainement perturber son cours, sans que personne ne les voit venir. Tout comme personne n'avait prévu la fin pathétique que connaîtrait le si puissant Nemrod, par la faute d'une nuée de moustiques. L'un de ces minuscules insectes avait investi le large nez du roi et infiltré son cerveau, causant sa mort, selon ce que la légende retiendrait de cet homme puissant, terrassé de la façon la plus humiliante qui soit. Craint de son peuple, redouté de ses ennemis, ce monarque à la stature imposante et au caractère tyrannique, connu pour son implacable cruauté, avait succombé aux assauts ridicules de la plus faible et de la plus insignifiante des créatures.

Mission NemrodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant