La rencontre (1/ 3)

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Jardins de l'université de Princeton, de nos jours (New-Jersey, États-Unis)
Le ville de Princeton est moins connue pour ses jardins que pour son université, même si celle-ci en possède de très beaux. En cet après midi d'avril, les cerisiers en fleurs diffusaient leur parfum entre les bâtiments de style néogothique, qui conféraient au lieu son ambiance moyenâgeuse. Sur la pelouse si régulière qu'on la pensait artificielle, une dizaine d'étudiants étaient assis en demi-cercle. Devant eux, le professeur Richard, la quarantaine, veste en tweed à carreaux et tempes dégarnies, une pointure dans son domaine, la physique quantique. Son recrutement à Princeton avait fait des vagues. « Vous voulez vraiment laisser entrer dans notre prestigieux établissement ce galvaudent de balivernes pseudo§scientifiques? » s'était plaint le doyen. Les actionnaires lui avaient rappelé que cet établissement était surtout le leur, et que la renommée de Richard leur suffisait, en termes de prestige. Sa venue permettrait d'augmenter les frais d'inscription déjà énormes. « Qui va payer les toitures à colombages de l'aile Tudor? »
La théorie de Richard, qui l'avait rendu célèbre dans le monde entier, et qui allait contribuer à financer les travaux de rénovation de l'une des plus anciennes universités du pays, portait sur un domaine à la mode : le multivers quantique. Mais chez lui, il s'agissait de ce qu'il appelait l'humtivers, et qui pouvait se résumer ainsi : plusieurs existences, oui, mais pas dans des univers parallèles, ni dans différentes branches du temps ou je ne sais quelle intervention temporelle. Pour lui, se perdre dans des théories sur le temps revenait, justement, à perdre son temps. Depuis Newton et la théorie de la relativité, les recherches avaient épuisé le sujet. Les théories sur le multivers et les courbes temporelles se fourvoyaient, toutes.
Les histoires d'existences multiples d'un même individu dans deux ou (soyons fous) plusieurs branches temporelles parallèles ou (soyons encore plus fous) possiblement convergentes, relevaient de la science-fiction. Parler à son double (ou son triple, son quadruple, etc.), changer de vie avec une autre version de soi-même plus attractive, etc... tout cela n'était que fariboles cautionnées par des soi-disant « scientifiques ». Les vrais charlatans c'étaient eux, pas lui. Car lui, il restait sur terre. C'était son côté pratique ; prendre le seul univers qu'il avait sous la main, celui où nous vivons, nous les humains. Le côté révolutionnaire de sa théorie se cachait derrière le mot « humtivers », sorte de pied de nez à la science comme la voyaient ses confrères. Ou, pour le dire autrement, selon certains gros titres : les humanoïdes ne sont pas ailleurs, sur une autre planète, mais parmi nous. L'humanité ne se réduit pas aux seuls êtres humains, tels que nous les concevons.
Et cela n'avait rien à voir avec tout ce qui avait été dit avant, ni par les spiritismes, sur les « esprits », ni par les techniciens, sur les robots ou sur l'intelligence artificielle.
L'humanité était plus riche que ce que l'on croyait jusqu'alors, car il existait d'autres êtres humains, aussi humains que nous, mais que nous n'avions encore jamais réussi à identifier. Eux savent que nous sommes là, mais pas nous. Et Richard en détenait la preuve. Une preuve qu'à part lui, toute le monde semblait avoir du mal à comprendre... hormis un (ou une) illuminé.e du nom de Suevan, qui gardait son identité (et son genre) soigneusement secrets, et qui diffusait sur le darknet et son interprétation sulfureuse, à grand coup d'effets d'annonce sur l'origine de l'Homme.

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