L'annonce

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La tour de Babel

Dans le pub où se retrouvaient les jeunes de Princeton, le vendredi soir, régnait la confusion totale, et un vacarme assourdissant. Dans une ambiance alcoolisée et survoltée, les étudiants en week-end riaient fort, s'interpellaient en criant, devant des écrans où passait en boucle un match de football américain. Derrière le bar, les préparateurs de cocktails agitaient leurs mixtures dans des bouteilles de verre, pendant que les serveurs débitaient des verres de bière, à tour de bras, sur le comptoir. Les serveuses en mini-jupe et tablier blanc arrivaient à peine se frayer un chemin entre les tables surchargées de clients entassés les uns sur les autres.

- Tu m'amènes à la tour de Babel ? demanda Eiva à Ned en souriant.

Le garçon ne releva pas l'allusion. « Certainement parce qu'il ne l'a pas comprise », pensa Eiva, qui n'avait qu'une piète opinion de la culture générale de son chevalier servant, fusse-t-il étudiant d'une prestigieuse université comme celle de Princeton. Elle insista.

- La tour de Babel, tu connais ?

Ned n'avait aucune envie de parler d'une tour nommée Babel. Même si le nom lui disait vaguement quelque chose, il n'était pas ici pour ça. Il se montra beau joueur, pour plaire.

- Non, gagné ! Je ne connais pas, reconnut-il élégamment.

- La tour de Babel a été construite par le roi Nemrod plusieurs millénaires avant notre ère. Selon la légende, ce roi était l'arrière-petit-fils de Noé, et il a voulu édifier une tour gigantesque pour échapper à un autre déluge ; il défia Dieu en voulant construire un accès direct depuis la terre jusqu'au paradis, dans le ciel.

Les accents de la voix d'Eiva qui parvenaient à dominer le vacarme, dans le coin où les deux jeunes gens s'étaient réfugiés, donnaient encore plus de véracité à ce récit, comme sorti d'un songe. Ned se laissait bercer, sans chercher à comprendre. Il avait vaguement reconnu des allusions à la Genèse, dans la Bible. Mais son cerveau peinait à faire le rapprochement.

- Et maintenant, l'expression « tour de Babel » désigne un endroit comme celui-là, où les rois, ce sont la pagaille et le bruit, conclut Eiva.

- Super ! Et sinon, tu prends quoi ?

Eiva n'eut pas le temps de répondre. Tim arrivait avec trois verres de bière serrés contre lui. Il les posa sur une table basse, près d'eux, de justesse avant qu'ils ne se renversent.

- Pour moi, ça sera un soda ! dit Eiva.

Et justement, Doug arrivait avec deux sodas. Il en donna un à Eiva et il prit l'autre.

- Vous en aurez plus pour vous, dit-il en montrant les trois bières à ses potes.

Il se laissa tomber sur le canapé qui venait de se libérer, ses grandes jambes repliées sur son corps affalé contre les coussins. Les deux autres garçons prirent place à côte de lui, et Eiva sur un pouf, devant eux. La jeune fille remonta en chignon ses longs cheveux noirs, d'un geste machinal qui laissa ses deux bracelets d'argent retomber sur son bras, le long de la soie de sa combinaison fluide.

La grande nouvelle

Doug renversa la tête en arrière, laissant son regard errer dans le pub. Entre le va-et-vient incessant des clients et des serveuses, il aperçut l'un des écrans qui diffusait le match. En bas des pieds des joueurs, un bandeau d'information surligné en jaune apparut soudain. « Encore une alerte enlèvement », pensa-t-il, avant de réaliser que le code couleur était le rouge, pour un enlèvement. Il était trop loin pour lire le texte qui défilait. C'était sans compter sur le portable de Tim, toujours en alerte, lui aussi.

- Regardez les gars ! Un bout de papier ancien comme on a vu tout à l'heure chez Eiva passe en boucle aux infos, dit-il en brandissant son téléphone sous leur nez. Et on dirait bien qu'il est écrit dans ta langue, ajouta-t-il en direction de la jeune fille, pour se rendre intéressant alors qu'au fond, il n'en savait rien du tout.

Comme si, d'avoir vu quelques secondes un texte écrit en araméen, il était à présent capable d'en reconnaître un autre ! Il savait à peine différencier l'arabe de l'hébreu. Eiva saisit son téléphone et agrandit l'image avec son pouce et son index bagués d'anneaux en argent. Ses ongles courts vernis de noir cliquèrent sur l'écran, cherchant ce qui se disait sur le manuscrit qui apparaissait en photographie, recouvert de caractères abstraits d'une langue manifestement très ancienne, semi-cursive, dont les signes étaient parfois liés entre eux, parfois isolés, tantôt en lignes droites, tantôt enroulés en boucles, semi-ouvertes ou fermées. L'écriture ne ressemblait pas à l'araméen.

- Non, ce n'est pas de l'araméen, décréta Eiva. On dirait plutôt du sumérien ou de l'akkadien, ou une forme ancienne de syriaque... c'est extraordinaire, s'exclama-t-elle.

Eiva poursuivit par quelques mots dans sa langue, qui lui échappaient sous l'effet de la surprise, que les garçons ne comprenaient pas - pas plus que son intérêt pour les parchemins et les dialectes anciens. Tout cela était du charabia, pour eux. Mais, la nouvelle avait quand même l'air assez importante pour qu'elle apparaisse en bandeau sur un match de football ! Doug et Ned avaient aussi sorti leur portable. Après le parchemin, c'était maintenant au tour de l'image d'une momie de s'afficher, avec un nom, qui revenait : Nemrod ! Ned poussa une exclamation. Nemrod ! Cela faisait deux fois, en moins de cinq minutes, qu'il entendait ce nom ! Un peu trop, pour un homme mort il y a si longtemps...

Aucun des trois garçons ne sut dire ensuite comment Eiva leur avait soudain faussé compagnie. Pendant que Doug et Ned, absorbés par la lecture de leurs écrans, gardaient les yeux baissés, Tim fut distrait par le passage d'une jolie serveuse aux formes pulpeuses. La chute de son téléphone, sur ses genoux, le fit sursauter. Il tourna la tête. Eiva avait disparu. Mais aucun d'eux ne s'en soucia, sur le moment. Leur attention était ailleurs. La mi-temps du match arrivait fort à propos pour laisser place à un flash d'information.

Le vacarme assourdissant se transforma en bruit de fond. Les réactions au jeu des sportifs avait cessé et surtout, la grande nouvelle avait fini par captiver les clients. Car il s'agissait bien d'une grande nouvelle, dont les images attiraient tous les regards.

« La plus grande découverte de tous les temps » annonçaient les titres, plaqués sur la diffusion de photographies incroyables où l'on voyait des tas d'or et de bijoux amoncelés, qui suscitaient la surprise et l'admiration. « C'est des vrais ? » s'exclamaient les jeunes gens. « Waouh, trop beau ! » ou encore « Cela doit valoir une fortune ! ». Pourtant, personne ne semblait réaliser la véritable valeur de ce trésor, qui n'était pas d'ordre matériel.

La grande nouvelle, comme onn'allait pas tarder à s'en rendre compte, ne portait pas sur la valeurmirobolante de ces pièces et de ces joyaux, certes, inestimables, et que l'on appela :« Le trésor de Nemrod ». La grande nouvelle portait sur ce quiétait écrit sur les manuscrits découverts dans l'un des coffrets du trésor, uncoffret d'ivoire contenant des feuilles de parchemin que l'on appela : « Lesfeuillets d'Abraham », susceptible de bouleverser le cours de l'humanité,ou de ce que l'on appelait ainsi, avant.

Mission NemrodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant