S comme Suevan

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« À ce point précis du récit, la réalité pénètre la fiction comme la rouille attaque le fer, jusqu'à le ronger de l'intérieur et compromettre son intégrité. Je ne peux plus garantir que la réalité soit vraie, ni que la fiction ne le soit pas. Dans l'idéal (mais l'idéal existe-t-il ?) je voudrais comme Cervantès imaginer le premier roman, son double numérique. Comme si Don Quichotte, se perdant dans l'une de ces boucles temporelles que le multivers aime tant, ressurgissait des siècles plus tard en fiction numérique. L'idée n'est peut-être pas nouvelle. Il n'existe rien de plus commun qu'une idée, surtout quand on la croit nouvelle. Il m'est arrivé de penser à une idée, puis de constater, à mon grand étonnement et à mon grand désespoir aussi, combien d'autres, dans le monde, l'avait trouvée, avant moi. À Nairobi, ou ailleurs. Cette même idée, que je croyais jaillie de mon cerveau, unique entre toute, était sortie d'un autre cerveau que le mien, après avoir accompli le même trajet entre les neurones d'un autre que moi. Si nous sommes uniques, nos idées ne le sont pas forcément. Les idées neuves ne sont généralement pas si neuves que cela. Elles sont juste ignorées de ceux qui les croient neuves. Quoi qu'il en soit, l'appel lancé dans la fiction surgit dans la réalité, dans ma réalité - je m'en saisis et je dis : attendez-moi !

Moi aussi, je veux participer à ce grand déballage de cerveaux avec Doug et ses potes. Rendre les services d'Interpol jaloux et rencontrer le professeur Richard dans son immense bureau aux vitraux multicolores. Et surtout, comprendre la théorie de l'humtivers sur l'origine de l'humanité, selon Suevan. Car c'est lui (ou elle), c'est iel, qui a lancé l'appel, cet appel que je saisis au vol, entre ce récit qui s'écrit et se propage, entre réseau neuronal et réseau numérique, entre un auteur et ses lecteurs.

J'ai donc décidé de m'inviter aux débats. N'en déplaise aux mécontents qui penseront peut-être : « Mais de quoi je me mêle ? » Que ce trublion ou cette trublionne de service regagne ses pénates, numériques ou neuronales, comme bon lui chante, et nous laisse profiter de notre histoire ! Mais justement, j'en fais partie, à présent, de l'histoire. C'est comme ça. Et peut-être vais-je apporter une pierre importante à l'édifice. En tout cas, elle le sera, importante, pour moi, puisque cela sera la mienne.

D'après ce que je sais, Doug et ses amis sont en train d'atterrir à Paris. Ils vont ensuite prendre un TGV pour Lyon. Tim ne sera pas content, lui qui espérait voir Paris. Mais ils sauront enfin pourquoi ils sont là : pour répondre à l'appel, eux aussi. Certes, ils auraient pu le faire de Princeton - Doug, on va te tuer ! Car c'est ton idée, imaginée dans le bureau de Richard. Une idée surgie, comme ça, au dépoté. Une idée, ça ne prévient pas. Ça arrive, ou pas. Certains sont morts sans que l'idée qui aurait pu leur sauver la vie n'aie jamais pointé le bout de son nez. En fait, c'était plus sexy, de venir à Lyon. Plus funny, aussi. Lyon, personne ou presque n'en veut, de ses roses centenaires, ni de son girafon. Ils sont tous étonnés de se retrouver là, à la lisière des arbres du Parc de la Tête d'Or, au lieu de Paris, la ville qui fait tant rêver les étrangers.

Eh bien non, désolé, ce sera Lyon.

Car dans la réalité qui rejoint la fiction, le siège mondial d'Interpol se trouve bien, pour de vrai, à Lyon, accolé à la roseraie du Parc de la Tête d'Or et séparé à cinq minutes de marche, à peine, par ses allées champêtres, de son girafon.

L'appel que Suevan lance à sa communauté, je l'ai entendu. Non pas que j'en fasse partie, de cette communauté : je ne sais même pas encore de quoi il en retourne. Certaines choses me plaisent et d'autres pas. Autodidacte, je suis - comme tous les Français. Chaque Français se pense autorisé à ne compter que sur lui pour savoir ce qu'il lui faut, et à n'obéir qu'à lui. Les Français détestent la hiérarchie, les ordres. Ils traversent la rue en dehors de clous. Ils ont inventé la Révolution des droits de l'Homme. Eh bien, aujourd'hui, ils vont être en première ligne de la communauté de Suevan, pour répondre à son appel. C'est aussi pour cela, que Doug est rentré chez lui, en France. Pour être aux premières loges de la réponse à cet appel, dans la réalité, et non plus dans la fiction.

Vous qui lisez ces lignes,répondez, vous aussi, à l'appel, autorisez-vous en toute liberté ce grandplongeon dans la fiction qui rejoint la réalité - votre réalité. Comment répondre ?vous direz-vous peut-être. Tout comme moi, vous n'en savez pas grand-chose. Il enva d'essayer de comprendre l'humanité élargie à laquelle nous invite l'humitvers,sans pour autant risquer de nous voir confrontés à notre ou à nos doubles quantiques.Ce n'est pas un autre moi, que je vais rencontrer mais bien moi-même, que je nevais jamais quitter car il n'y a et il n'y aura jamais qu'un seul et unique « moi »dans l'unique vie qui est la mienne... ou du moins, jusqu'à preuve du contraire ! »

Mission NemrodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant