La rencontre (3/3)

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Dans les couloirs du bâtiment archives de Princeton, Ned emboitait le pas à Eiva, suivi par Tim, résigné, et Doug, amusé. Même si ce dernier ne savait toujours pas ce qu'était l'ecdotique, cette science au nom étrange lui permettait d'étudier d'un peu plus près deux spécimen de la jeunesse dorée américaine à laquelle il essayait tant bien que mal de s'intégrer, lui l'étudiant boursier étranger, de mère française d'origine marocaine et de père allemand d'origine turque - mélange ethnique qui expliquait ses cheveux noirs et raides et sa peau mate.

Son prénom Douglas - Doug, pour les intimes - venait, quant à lui, de l'amour de ses deux parents pour la culture américaine, un amour qu'il avait bien du mal à s'expliquer, mais qui avait rejailli dans le choix de ses études. Doug, l'européen aux racines musulmanes, attiré par l'Amérique, portait sur son passeport les influences multiples qu'il portait en lui : Douglas, Youssef, Mehmet, ses trois prénoms, lui avaient valu d'être arrêté par les douanes à son entrée sur le sol américain. Conduit devant trois officiels de l'aéroport de New-York, il avait dû répondre à des questions sur les motifs de son séjour. Son anglais impeccable avait, comme toujours, fait des merveilles - évitant aux oreilles autochtones l'agacement d'un accent... ce qui n'était pas le cas de la belle Eiva, qui écorchait chaque mot.

- Vous avez ici l'étendue des études couvertes par l'ecdotique, disait-elle, dans sa visite guidée, d'une voix que l'on sentait beaucoup plus habile à manier d'autres langages.

- Tu parles quelle langue, en fait ? demanda Tim, sans réaliser ce que sa remarque pouvait avoir de désobligeant.

- C'est mon accent qui te dérange ? Ma langue natale est l'araméen. Regarde ce manuscrit, il est écrit en araméen, justement.

Eiva désignait l'une des vitrines de la salle d'archives, à côté d'eux, où était exposé un parchemin recouvert de signes qui ressemblaient un peu à l'arabe, un peu à l'hébreu.

- On la parle encore au sein de communautés chrétiennes de Syrie, d'où je viens. C'est une langue très rare, dite « sémitique », comme l'arabe et l'hébreu. Je suis fière de la parler

Eiva n'était donc pas vexée. Au contraire, elle poursuivit comme si de rien n'était, en expliquant comment les chercheurs en manuscrits anciens travaillaient à remonter à la source originale d'un écrit, qu'il soit de nature scientifique, littéraire ou religieuse.

- C'est comme construire un arbre généalogique ! s'exclama Doug, qui venait enfin de comprendre ce qu'était l'ecdotique.

- Exactement ! confirma Eiva. Sauf que pour les manuscrits anciens, la science qui remonte aux sources ne s'appelle pas généalogie, comme pour les humains, mais ecdotique.

- Super ! On a fininotre exposé, on peut aller boire un coup ? proposa Ned, qui regardait Eivacomme si sa proposition ne concernait qu'elle.

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