La disparition (1/2)

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Le siège mondial d'Interpol (Lyon, France)

Une belle lumière éclairait les abords verdoyants du bâtiment largement vitré du siège mondial d'Interpol, au cœur de la cité internationale de Lyon, en France.

Devant, coulait le Rhône, lent et majestueux, dont les eaux d'émeraude s'étalaient entre des berges paysagées. Le fleuve coulait sans relâche, impassible, contournant parfois doucement l'obstacle d'un poteau, sur lequel siégeait une mouette immobile.

À l'arrière, les verrières d'Interpol renvoyaient les images verdoyantes des arbres du Parc de la Tête d'Or, qui prenaient leurs couleurs de printemps.

L'une de ces verrières, où se reflétait la ramure d'un gros chêne, appartenait au bureau de Ryan Parker. D'origine britannique, svelte, la trentaine, rasé de près, cet agent spécialisé dans les enquêtes sur les personnes disparues avec mandat de recherche international, venait d'arriver à Lyon, un peu étonné de ne pas se voir à Paris. Mais non, le siège mondial d'Interpol était bien à Lyon, qui se disputait, avec Marseille, le rang de deuxième ville de France. Cette grande métropole, située à deux heures de route des plus belles stations des Alpes, possédait un parc planté d'essences rares, avec une roseraie centenaire et un zoo attractif, où venait de naître un girafon.

Pourtant, ce n'était pas le ski, dont il n'était pas particulièrement amateur, ni les roses, ni les girafes, dont il se souciait encore moins, qui intéressaient Ryan Parker. Ce qui retenait son attention, à cet instant précis, était la disparition d'une jeune fille au nom étonnant : Eiva Princeton. « Comme la ville ? » avait-il demandé, surpris, à son supérieur, à Londres, lorsque ce dernier lui confia la supervision de l'enquête. Il reçut une réponse encore plus surprenante. « Oui. Parce que c'est là qu'elle a disparu. Mais son véritable nom nous est inconnu. » Ryan n'en revenait pas : « Ne sommes-nous pas chez Interpol ? ».

Depuis, il épluchait les résultats qu'il avait obtenus avec ses deux collaborateurs Linde et Lucas, de bien maigres résultats, il fallait bien l'avouer. Et ce, pour une affaire peu commune, au lien indirect très hypothétique, et qui restait à établir, avec la plus importante découverte de tous les temps, selon ce qu'en relayaient les médias. Une découverte fabuleuse, pour sûr. Comme tout le monde, Ryan se rappelait ce qu'il faisait, le jour de cette découverte, au moment de la diffusion des images. C'est la toute fin de soirée, le vendredi 11 avril. Ce soir-là, on ne vit pas des avions en train de percuter des tours, mais des montagnes d'or et de bijoux précieux, étalés à perte de vue. Il était toujours dans son bureau de Londres. Il aurait dû depuis longtemps rentrer chez lui, mais il avait un dossier à terminer avant le week-end. Son chef était encore là, lui aussi. Il ouvrit la porte, tout excité : « Regarde les infos ! » Ryan n'avait aucune envie regarder les infos, et il n'avait pas le temps ! Il devait finir son travail et sortir le plus vite possible de cet endroit, ou bien y passer la nuit entière. Son chef ne lui laissa pas le choix : il alluma l'écran, et la magie des images opéra.

Un autre bruit de porte, actuel, le fit sortir de ses pensées.

- Viens, on a du nouveau ! lança une jeune femme, la vingtaine, cheveux blonds courts et allure garçonne, en entrant brusquement dans la pièce.

C'était Linde, son adjointe norvégienne. Il la suivit dans la salle de réunion du cinquième étage.

Lucas les attendait, posté devant le tableau des éléments de l'affaire, au centre duquel trônait le visage aux yeux légèrement en amande d'Eiva.

- Ils ont disparu ! dit le jeune homme, un français pure souche à la tenue décontractée.

C'était ça, les « nouveaux » éléments ? Du perdu, et non du retrouvé ! Un recul de plus dans l'enquête, au lieu d'une avancée ! On était ici pour retrouver les choses, et surtout les gens, pas pour les perdre. Et qu'est-ce qui avait disparu, au fait ? Ryan regardait son collègue sans comprendre.

- Les feuillets d'Abraham ! Ils ont disparu ! répéta Lucas.

Sur le moment, Ryan eut comme un sentiment de soulagement. Personne n'avait disparu.

- Et le trésor ? demanda-t-il sans réfléchir.

Il se rendit compte immédiatement de sa bévue. Le trésor, ce n'était pas son problème, même si, en son for intérieur comme en celui de chaque être humain, sur cette planète, une sorte de pulsion lui faisait croire que ce trésor, placé dans un musée dont le nom n'avait pas encore été révélé, lui appartenait. Combien les êtres humains étaient loin du compte, cela, il ne le réaliserait que plus tard ! Il se rendrait compte que, sur cette planète, il n'y avait peut-être pas que les êtres humains comme lui à penser que le trésor de Nemrod leur appartenait, comme une sorte de leg à l'humanité venu du fond des âges. D'autres êtres peuplaient le monde, invisibles à l'œil et pourtant intéressés, eux aussi, par ce trésor bien visible. « Dieu merci, le trésor est toujours là ! » pensa-t-il quand Lucas le rassura. Ryan parlait un bon français, avec un peu d'accent. Mais en bon Anglais, il pensait... en anglais. Et les Anglais ont gardé l'habitude de convoquer Dieu, dans leurs exclamations : « Oh, my God ! » Un peu plus classe que « Putain ! », même dit avec l'accent.

- Pour l'instant, seul le coffret d'ivoire a disparu, confirma Linde.

- Avec les Feuillets ?

- Oui, chef, avec les Feuillets, sinon ...

« Oui, bien sûr, sinon, ils n'en feraient pas toute une histoire », compléta intérieurement Ryan. Linde le regardait ; elle avait l'air de se demander s'il allait bien.

- Bon, c'est fâcheux, dit-il. Mais c'est quoi le rapport avec la disparition d'Eiva ?

Il hésitait à l'appeler Eiva Princeton, tant il trouvait ce nom anachronique. Ce n'était pas vraiment le sien, en plus.

- Fâcheux ? Vous rigolez là, j'espère.

Linde n'en pouvait plus. Ryan avait des réactions vraiment trop bizarres, ce matin.

- Ce n'est pas que « fâcheux », c'est une vraie catastrophe, conclut-elle.

Inutile de s'étaler sur les conséquences de cette disparition, qui lui semblaient évidentes. « Il le fait exprès, ou quoi ? » pensa la jeune fille. Elle avait été recrutée pour ses talents d'enquêtrice, qui avaient déjà fait leurs preuves en dépit de son jeune âge, dans l'antenne d'Oslo, en Norvège. Venir à Lyon ne l'enchantait pas : elle aurait préféré Paris, elle aussi. Quant à Lucas, le seul autochtone, pur français de souche, il était le seul à se réjouir de la localisation d'Interpol : il habitait de l'autre côté du Parc de la Tête d'Or, un trajet qu'il faisait à pied, parfois, quand il avait le temps de zigzaguer entre les allées. Ce matin-là, dans cette salle de réunion, il ne pensait pas à ses balades au parc, mais à l'attitude étrange de ses deux collègues. Avaient-ils au moins reçu son mail ?

- Quel mail ? Ni Ryan, ni Linde ne semblait en avoir la moindre idée.

Avant que Lucas ne puisse éclaircir la situation, la porte s'ouvrit. Ils étaient convoqués au sous-sol.

Mission NemrodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant