Mission Nemrod

Jour 1 (2/2)

Roseraie du Parc de la Tête d'Or, Lyon

Le moyen d'entrer en contact avec Eiva, mis au point par la mission Nemrod avec l'aide du professeur Richard, « en attendant que quelque chose d'autre se produise », passait par les trois étudiants qui étaient assis au soleil, en cette fin de matinée, au bord du grand lac du Parc de la Tête d'Or, sur un banc de la roseraie. Une famille de canards qui passait, glissait dans l'eau calme aux reflets dorés.

- Vous n'avez pas faim, les gars ? Saut erreur, on n'a pas pris le petit-déjeuner, ce matin, dit Tim à ses deux potes, absorbés par l'écran de leurs téléphones.

Tim n'osait rien dire, mais il trouvait que l'hospitalité française laissait sérieusement à désirer, depuis ce matin. Autant hier soir, il s'était régalé avec le couscous et les gâteaux orientaux en forme de « corne de gazelle », autant ce matin, il n'avait rien trouvé à manger, ni à boire. Pas même un café. Quand il avait voulu se servir un verre d'eau au robinet, Doug l'avait arrêté d'un geste. « Je serais toi, je m'abstiendrai d'y toucher », lui avait-il dit. L'eau courante était-elle mauvaise, en France ?

- Venez, je crois qu'il y a des cafés, par là-bas, insista le jeune homme en montrant les bâtiments de brique et de verre de la cité internationale de Lyon, derrière les arbres du parc.

- Je n'ai pas faim, on est bien là, au soleil, lui répondit Ned.

Doug lui jeta un coup d'œil, étonné. Et quand il vit sur l'écran du portable de Ned, le logo en cercle noir, avec le grand S blanc de la communauté des suevaniens, il comprit ce qu'il se passait. Il se disait bien, aussi, que le comportement de Ned avait changé. « Toi, mon pote, tu vas me faciliter la tâche », pensa-t-il.

- Ouvre ton téléphone, dit Doug à Tim.

- Je n'ai pas envie de voir mon téléphone, j'ai faim et j'ai soif, venez, on bouge !

- Ouvre ton téléphone, dit Ned à Tim.

- Oh, mais tous les deux vous commencez à me... commença Tim en râlant.

Sans achever sa phrase, il ouvrit son téléphone ; sur l'écran une icône nouvelle était en train de s'afficher : le cercle noir avec le S blanc de la communauté de Suevan.

- Mais... dit-il

- Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu n'achèves plus tes phrases ? La faim, sûrement, dit Doug.

- Ou la soif, proposa Ned.

Les deux garçons se jetèrent un regard complice. Ils montrèrent tous les deux leur écran à Tim, avec le même logo.

- Vas-y, clique dessus !

- Jamais !

Doug ne lui laissa pas le choix et toucha l'écran à sa place. L'application s'ouvrit sur le dernier message posté par Tim.

- Hein ? Mais je n'ai jamais écrit ça moi ! s'écria le garçon.

- Celui-là, non, mais le prochain ce sera toi ! Tu prends le relais, maintenant !

- Le relais de qui, de quoi ?

Tim était en train de lire le message, il ne comprenait rien, ni à ce qui était écrit dans le message, ni à ce que Doug lui racontait.

- Et tu ne dis rien, toi ? demanda-t-il à Ned, étonné du silence de son ami, en lui donnant un coup de coude, tout en gardant les yeux rivés sur l'écran, pour continuer sa lecture. Regarde ce message ! Il dit que j'ai commencé le jeûne ce matin. C'est quoi ça, le jeûne ?

Il savait très bien ce qu'était un jeûne. Issu d'une famille évangéliste américaine, rattachée à l'église protestante, il avait déjà entendu des appels au jeûne pour une journée, par le pasteur chrétien de la paroisse de ses parents. « Sauf, mon pote, que ce jeûne-là ne dure pas une journée », se dit Ned, qui devinait ses pensées. Tim s'en rendit compte par lui-même.

- « pour un mois à compter de ce jour » : je n'ai jamais dit ça, et je n'ai pas non plus téléchargé cette appli. Vous l'avez, vous aussi ?

- On répond tous les trois à l'appel au jeûne de Suevan, parce que cela fait partie de la mission que nous a confiée le professeur Richard. On est des sortes d'agents infiltrés.

Tim poussa un soupir de soulagement.

- Ah, mais il fallait le dire tout de suite que cela faisait partie de la mission ! Ce n'est pas pour de vrai, cette histoire de jeûne, vous m'avez fait une sacrée peur ! Pas drôle, votre blague. J'ai besoin d'un bon remontant, venez !

- C'est très sérieux, ce n'est pas une blague, Tim. On n'ira nulle part, nous, on reste là. On mangera ce soir, au coucher du soleil, c'est dans pas longtemps.

- Dans pas longtemps, mais il est à peine midi !

Tim regardait ses deux potes d'un air affolé. Ses yeux noisette, d'habitude si rieurs, affichaient un désespoir sans nom.

- Hors de question, je n'y arriverai jamais ! Même pas un seul jour. Restez là si vous voulez, moi j'y vais !

Il commençait à se lever en direction des bâtiments de la cité internationale.

- Comme tu veux, mais tu ne fais plus partie de la mission. Tu vas devoir repartir aux US.

Tim se rassit, ne sachant plus trop que penser. Ses deux amis avaient l'air sérieux, surtout Ned. Il ne l'avait jamais vu comme ça. Doug, il le connaissait à peine, mais Ned !

- Ned, arrête ! lui dit-il, suppliant, espérant que son ami le sorte de ce cauchemar.

Mais, pour toute réponse, il reçut de son ami ce conseil laconique : « Tu devrais te trouver une motivation solide, pour tenir le coup ! »