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Deux mois plus tard,

[Lolela]

Le soleil perce les nuages par intermittence, caressant parfois mon visage. Je ne me lasse pas de me réveiller grâce aux changements de luminosité, sans alarme stridente, sans interrompre mes rêves. Tous les matins, je me fais la promesse de ne jamais vivre ailleurs que sous les toits et de ne plus positionner mon lit autre part que contre une baie vitrée. Rouler sur le ventre pour épier les passants ou les tuiles du Kreutzberg, tomber sur le dos pour compter les flocons de neige ou observer les orages font partie de mes préférences.

J'enfile mes chaussettes, un pull épais et après un passage dans ma modeste salle de bain, je me fais couler un café. L'arôme de noisette se répand dans mon studio et je me sens prête à attaquer ma journée en musique. Chaque matin, la première chanson que j'écoute est la même que la dernière que je joue. Les paupières closes, je danse debout sur mon lit, attendant que la dernière goutte brûlante et crémeuse s'échappe de la cafetière.

Assise en tailleur sur ma couette, je regarde la rue enneigée tout en buvant ce nectar noir. Mon cœur s'emballe aussitôt que la mélodie s'éteint.

Pendant un mois et demi, toutes les nuits, à deux heures trente-huit du matin, mon téléphone sonnait.

Nate.

Les premiers jours, je devenais blême, je restais clouée sur place à fixer l'écran s'embraser, à sursauter dès que les vibrations de l'appareil secouaient mon chevet. Je luttais si fort pour ne pas répondre, que des crampes aux mains me pétrifiaient. Je désirais de tout mon cœur laisser glisser mon pouce sur le verre rayé, mais plus encore, j'avais besoin d'écouter les éraflures de sa voix. La seule promesse que je m'évertuais à tenir m'en empêchait.

Les semaines suivantes, très égoïstement, j'attendais ce moment avec impatience. Ces appels nocturnes me faisaient l'effet d'un baiser sur la tempe de bon matin, d'un doigt d'honneur effronté ou bien d'une étreinte maladroite sur les quais du Rhône. Un soir, j'ai dérapé et il a prononcé mon nom, Cooper. Un frisson tellement intense m'a parcourue quand j'ai entendu son souffle que j'ai eu peur. Des réminiscences de lui m'ont bousculée. J'avais l'impression de voir ses lèvres bouger devant moi, d'être piégée par ses yeux verts indescriptibles. J'ai manqué de courage et je suis restée muette. Pour autant, je n'ai pas pu me résoudre à raccrocher. J'ai écouté le flot de sa respiration, jusqu'à ce que je m'endorme.

C'était il y a onze jours.

Depuis, comme tous les matins, j'espère trouver un appel en absence, mais il ne me téléphone plus. Au fond, ce n'est pas difficile à comprendre, après tout, je l'ai abandonné. Je refusais qu'il choisisse entre son amie et son frère.

Elia.

Je n'ai aucune nouvelle de lui, car je n'en veux pas. Dès que j'ai rallumé mon téléphone lors de mon escale, j'ai pu faire défiler sur mon écran les nombreux appels manqués de Colin et de Nate, mais aussi les messages non lus. Mon répondeur a très vite été saturé par les vocaux de mon Numéro Deux. Mais, durant les quelques heures qu'a duré ma fuite, je n'ai rien reçu de la part d'Elia. J'ai fait deux choses, bloquer son numéro et prévenir Noé que j'allais disparaître quelques jours. Il m'aura fallu deux semaines pour lui relater cette nuit désastreuse, un mois pour lui confier mon adresse et de longues heures pour la convaincre de ne pas ramener sa frimousse dans le coin.

𝅘𝅥𝅮

Je n'ai pas toujours vécu dans cette charmante studette, idéalement située au-dessus de mon lieu de travail. En débarquant à Berlin, j'ai passé dix nuitées à périr dans une auberge de jeunesse. En revanche, au bout de trois, j'avais déjà trouvé un boulot de serveuse, mais après une semaine, j'ai dégoté une place au Lolela Café. Un pub ouvert de midi à cinq heures du matin qui tient plus du refuge pour âmes brisées que du job alimentaire.

June Wild, L'effet d'un caillouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant