[Cet espoir douloureux]
Comme tous les samedis, je rejoins la place Sathonay, mais à la différence des autres mâtinées, j'ignore si Elia va se pointer. Nous n'en avons pas parlé, ni lors de notre précédente rencontre ni pendant Hogmanay ou bien par message. C'est en foulant le sol sableux de ce square que je réalise que je suis venue par réflexe. Je m'amuse à marcher sur les bancs disposés autour de la statue pour m'efforcer de chasser l'hésitation qui m'anime. Je saute de l'un à l'autre pour effacer le vide qui les sépare, quand soudain, il apparaît devant moi. Debout, chacun à l'extrémité d'un lit de béton, nous nous regardons, puis nous nous saluons. C'est la première fois, qu'ici sur la place, nous échangeons un sourire.
— Je ne savais pas si tu allais venir, lui avoué-je.
— Je me posais la même question.
Les deux premiers samedis, c'est moi qui avais des choses à lui dire. Je l'ai fait. Et maintenant ? Va-t-il me parler à son tour ou allons-nous simplement discuter ? Je décide de rester silencieuse et de lui laisser mener la danse.
— Pourquoi as-tu choisi cet endroit, Jude ?
— Je voulais un lieu en extérieur, calme et pas très loin de chez nous. Je le souhaitais neutre, nous n'y étions jamais allés ensemble. Je ne savais pas que cette marche d'escalier, celle que tu aimes tant, se trouvait ici. Si tu préfères aller ailleurs...
— Ici, c'est très bien.
Nous redevenons silencieux. Je me mets en mouvement, recommençant à déambuler sur le banc et à bondir sur le suivant, mais quand j'arrive de l'autre côté, il surgit une nouvelle fois.
— Je n'ai lu ton message que le lendemain matin.
Je me fige et plonge mes yeux dans les siens, bien déterminée à faire pour lui, ce qu'il a fait pour moi. À cet instant, je comprends à quel point, soutenir mon regard pendant que je lui parlais était courageux et difficile.
— Après ton départ, les choses sont allées à toute allure, trop vite. Colin est d'abord venu, puis Nate. C'était tumultueux, trop intense, à un tel point que ça me paralysait. Je n'arrivais pas à prononcer un mot parce que je ne parvenais pas à penser. Ce n'est que quand ils sont partis, que j'ai réussi à me remettre en mouvement et que j'ai découvert ton message. Là, j'ai eu la peur de ma vie, Jude.
Je vacille.
— J'avais beau lire et relire ton message en me concentrant sur les mots « rien de grave », mais tout ce que je voyais, c'était que tu avais un problème, que tu avais besoin de moi. J'ignorais tout, y compris que tu avais pris tes affaires. Nate a débarqué en panique chez moi. Un affolement tel que les mots « rien de grave » ne pouvaient plus avoir aucun sens pour moi. Pendant des jours, je suis resté à l'arrêt, obsédé par l'idée qu'il te soit arrivé quelque chose, rivé sur ce problème. J'étais terrorisé et démuni. Dans mon esprit, cela ne pouvait signifier que deux choses. J'étais le seul à pouvoir te venir en aide et j'avais tout fait foirer, ou bien, si tu avais refusé le soutien de ton meilleur ami, c'est parce que tu étais partie. Dans les deux cas, c'était terrifiant.
Il marque une pause pour reprendre son souffle, mes mains tremblent contre mes cuisses.
— Dès le lendemain, j'avais décidé de te laisser l'espace que tu semblais rechercher, mais te prouver que j'étais encore celui sur qui tu pouvais compter. Je me suis interdit de te trouver. J'ai résisté à l'envie d'aller chez ta tante. Je n'ai pas contacté Noé même si j'avais son numéro. Je n'ai pas interrogé tes anciens camarades de classe que je croisais souvent. Je me suis empêché de questionner Nelson que je voyais pourtant tout le temps, et j'ai évité soigneusement tous les endroits que tu aimais dans la ville. Malgré tout, chaque matin, je t'envoyais des messages, chaque soir, je t'appelais. Sans aucune exception, jusqu'à ce que j'apprenne que tu étais revenue. Le jour où je l'ai su, ce matin-là encore...
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June Wild, L'effet d'un caillou
RomanceFuir quand tout s'écroule et poursuivre une ambition coûte que coûte ? Jude connaît par cœur. Une fois, peut-être même deux, mais jamais trois. Impossible, après cette rencontre. Quand être seule n'est plus une option, au risque d'être traquée, auta...