June Wild, L'effet d'un caillou

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[Musicienne en errance]

Dix minutes pour dévaler la pente, ma guitare dans le dos, mon étui à la main, un sac dans l'autre. Je vais être en retard, je le sens. L'école de design, qui se trouve en contrebas, surgit rapidement devant moi. Trois minutes, c'est tout ce qu'il me reste lorsque mes pas foulent le parvis. Je franchis l'entrée, le souffle court. Il me faut encore traverser le bâtiment secondaire, puis atteindre l'étage. Quand j'arrive enfin dans ma salle de cours et que la porte claque dans mon dos, tout le monde me regarde.

— Ravie de voir que vous avez retrouvé le chemin de ma classe, miss Cooper.

— Bonjour, Madame Perdrel.

— Alors, comment était ce festival, vendredi ?

Je me fige, face à son air narquois. Je tente de récupérer un brin de contenance, mais seuls quelques balbutiements sortent de ma bouche.

— Sans doute, ne pensiez-vous pas que je remarquerais votre disparition soudaine en milieu d'après-midi ni que je serais en mesure d'en deviner la raison. Allez vous asseoir et vous viendrez me voir à la fin du cours. Si vous parvenez à tenir jusque-là, ajoute-t-elle en pinçant les lèvres.

Céline et Laurine gloussent avec leurs camarades, lâchant des murmures désagréables sur mon chemin. Comme toujours, je prends place sur la grande table du fond, que je partage seulement avec Amélie. Ma presque amie me lance un clin d'œil joueur dès qu'elle m'aperçoit ranger ma guitare et sortir mes affaires, ou plutôt celles d'Elia.

Le lundi, je n'ai qu'un unique cours, qui se nomme laboratoire de création. Puisqu'il s'agit du début de l'année, nous ne travaillons pas encore sur nos projets personnels, mais nous apprenons plutôt des méthodologies de création. Notre professeure nous encourage, via des techniques diverses et variées, à découvrir et à affirmer notre langage créatif. J'ai adoré cette étape lors de ma première année de licence en design produit, mais à présent, elle m'ennuie. Après quatre années à étudier les arts appliqués, je sais ce que j'aime. J'ai hâte de pouvoir travailler sur mes propres projets comme je l'entends.

Pour l'heure, Madame Perdrel a prévu de nous faire esquisser des corps humains. Pendant la matinée, nous allons jouer au modèle vivant, pour nous familiariser avec les postures figées. L'après-midi sera plus autonome, car nous continuerons chacun de notre côté, afin de dessiner des personnes en mouvement. Nous pourrons errer dans l'école comme nous le souhaitons et choisir nos sujets.

La matinée a été longue, quasi sans fin. J'aurais passé pas moins de trois heures, à dessiner mes camarades de classe, adoptant des postures dignes des podiums et des pages de magazines de mode.

— Jude, à ton tour ! me lance mon professeur.

— Je croyais que c'était sur la base du volontariat.

— Et tu n'es pas volontaire ? Tu as déjà manqué trois heures de cours vendredi, j'aurais pensé que tu souhaiterais t'investir pleinement dans ta scolarité.

Les yeux d'encre qui me défient me rendent ombrageuse, mais elle a raison, je ne peux pas me permettre de foirer mon année. Je délaisse mon carnet et mon feutre noir, afin de gravir sur la table pour m'accroupir, les bras appuyés sur les genoux.

Le cours s'achève, toujours plus lentement, comme si le temps s'écoulait à l'envers. J'examine mon travail, tournant les pages avec rapidité, manquant presque de les déchirer. Je ne suis pas fière de moi. Tout l'inverse, même. Mes croquis n'expriment rien d'autre que ma mauvaise volonté et mon ennui. C'est plat, maladroit, inintéressant. Être excellente n'est pas du tout mon objectif, mais être contente de moi et savoir que j'ai donné le meilleur me semble primordial. À l'avenir, je vais devoir faire mieux que ça. Que je sois contrariée, importe peu, et que je ne sois pas là où j'aimerais être ne doit pas devenir un problème. Ma professeure passe derrière moi, son silence manifeste à la perfection le dédain qu'elle me porte, quant à son regard, il exprime une déception semblable à la mienne.