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[Redwood]

— Ludwig ! s'écrie-t-il en entrant au Redwood.

Nate King Cold !

Le dénommé Ludwig saute par-dessus le comptoir, efface la distance entre nous et s'empare de la main de Nate pour lui offrir une accolade amicale. Fraternelle, même. C'est attendrissant, enfin ça le serait si je ne restais pas bloquée sur trois petits mots.

Nate King Cold ?

Nate me fait un clin d'œil et me montre le piano à queue défraîchi qui traîne dans le coin. C'est donc bel et bien un sobriquet faisant référence au pianiste américain de jazz et de blues. Nat King Call. Je suppose que Ludwig ne s'appelle pas vraiment ainsi et que c'est un renvoi à Beethoven.

— Ludwig, je te présente...

— Jude Line, l'interrompt-il en me souriant, celle que j'ai chassée dans toute la ville.

Ludwig me détaille longuement, alors j'ose faire de même, m'attardant sur son sourire éclatant, ses pommettes anguleuses et ses cheveux courts et crépus.

— Tu vas me rebaptiser Lina The Moon ? dis-je en pensant à Nina Simone.

— Si tu me chantes Feeling Good, absolument.

— Non, mais je peux jouer Baltimore, si tu veux.

— Oui, je le veux. Mais d'abord, j'ai une chose à faire.

Il opère un demi-tour et enfonce violemment son poing dans le ventre de Nate. Il se plie en deux, le souffle coupé, en grognant à peine, car dès qu'il respire enfin, il éclate d'un rire puissant et surtout heureux.

— Au moins, tu as épargné mes couilles et ma belle gueule.

— Uniquement, pour elle, réplique-t-il en retournant derrière le bar.

— Il ne fallait pas te gêner pour moi, dis-je en m'asseyant sur le tabouret devant lui. Je n'utilise rien de tout ça.

Il arrête tout mouvement, s'avance vers moi tel un rapace, se penche en s'accoudant sur le comptoir qui nous sépare et me lance un regard ardent.

— Salut, prononce-t-il d'une voix plus rauque qui parvient à émoustiller chacun de mes sens. Je m'appelle Loris. Je me disais juste que tu devrais le savoir.

Sans limite et exposant clairement ses intentions, il effleure ma joue avant de glisser une mèche de cheveux derrière mon oreille. Il m'observe toujours. Je le détaille encore. J'aime ce que je vois, mais surtout, j'adore son audace.

— Pour que je le murmure quand tu me feras jouir ?

Il plisse les paupières un instant, légèrement surpris par ma réponse, en cherchant peut-être le sarcasme ou bien l'humour. Mais ma voix est plus grave, mon regard soutient le sien et ma langue se faufile furtivement entre mes lèvres. Ses iris redeviennent ceux d'un chasseur et une jolie fossette creuse sa joue droite quand il m'offre un sourire en coin. Pourquoi faut-il que je craque toujours pour les fossettes ?

— Seulement la première fois...

Il s'avance un peu et trouve mon oreille.

— Ensuite, je veux que tu le cries, chuchote-t-il.

Je ne réponds rien, je me contente de tourner la tête vers lui, avant qu'il ne s'éloigne. Nos bouches s'effleurent en un baiser presque clandestin, juste le temps de goûter ses lèvres avec ma langue et de le mordre furtivement. Il laisse échapper un grognement sourd et affiche un air coquin. Son pouce rase sa peau meurtrie. Il récupère ses verres et reprend son service tout en riant. Mon acolyte s'installe à mes côtés et m'offre une bourrade taquine.

June Wild, L'effet d'un caillouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant