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[Tenue de soirée]

Je m'avance parmi tant d'autres dans l'herbe détrempée par l'averse qui vient de s'achever. Mes baskets en toile et aux semelles blanches, ces sneakers montantes au bout en plastique, hymne de plusieurs générations, celles que j'adore porter pour chaque événement similaire, ces amies fidèles, usées, trouées et déchirées, plus si grises, mais pas tellement autre chose non plus, s'enfoncent dans la boue qui commence à se former. L'herbe pourtant dense et verdoyante ne résiste que quelques minutes à l'assaut et au martèlement des milliers de pas qui la foulent.

Une foule dans laquelle je me mêle, je me faufile et je me glisse pour arriver là où je me plais bien. Presque devant, mais pas trop, pour ne pas me sentir écrasée et oppressée par ces milliers de clones parmi lesquels je me confonds. Presque au milieu, mais pas tout à fait, disons un peu à droite, à la limite de ce chaos sans nom où les plus fous et les plus violents se livrent à une lutte sans merci.

Une bière à la main, qui par miracle ne s'est retrouvée répandue nulle part, je sonde rapidement le sol en tournant sur moi-même. Plus un brin d'herbe, pas même un grain de sable, juste quelques centimètres de boue épaisse et collante.

Je scrute l'heure et je soupire avant de boire une grande gorgée fraîche et un peu fade. Ce n'est pas la première fois, mais c'est quand même rare que je me rende dans ce genre de lieu complètement seule. Quand c'est le cas, je prends le temps de survoler les alentours et je saisis l'occasion pour écouter les conversations qui m'encerclent. Rien de très compliqué, puisque plus les minutes avancent, plus les gens dans cette foule humide, festive et crade se resserrent. Pas autour de moi, mais face à ce que nous admirons tous. Bientôt, je ne croise plus aucun regard furtif au détour de mes observations, mais seulement des nuques dressées. Je n'entends plus les rires et les commentaires d'autrui, mais uniquement un bruit blanc qui s'apparente presque à du silence.

À cet instant, si un étranger à ce monde venait à nous trouver, il ne découvrirait que des milliers de personnes agglutinées sans aucune grâce, regardant dans la même direction. Il ne rencontrerait que ces nombreuses âmes souvent alcoolisées qui retiennent presque leurs souffles, et qui n'ont pour seuls mouvements qu'un frisson ou un tremblement d'excitation. Il ne croiserait que des êtres humains mal vêtus, sales et arborant des traces de boues comme des peintures de guerre. Et au moment, où les premières notes de guitare retentiraient, il ne verrait qu'une foule extatique, enragée et déchaînée, se soulever, s'écrier et s'élancer comme si l'affrontement commençait. Oui, si un étranger à notre monde, nous observait à cet instant, peut-être bien que ce festival lyonnais, aurait des allures de champs de bataille et que les festivaliers parmi lesquels je me mélange apparaîtraient alors comme de vulgaires sauvages.

𝅘𝅥𝅮

Sur le palier du premier étage d'un immeuble ancien et plantée devant une grande porte en bois sur laquelle j'ai déjà frappé quelques fois, j'attends avec une patience toute relative. Je regarde les traces de boues laissées sur les marches blanches de l'escalier. Je note l'état pitoyable de mes chaussures qui semblent se confondre avec ma peau non moins crasseuse. Je vois mes jambes nues qui arborent ces mêmes marques de guerre que j'évoquais plus tôt et qui se mêlent à une vilaine égratignure rougissante sur le côté de ma cuisse. Je n'ose pas m'attarder sur l'allure de mon short en jean aussi mouillé que taché de substances bien trop diverses. Et je n'imagine pas à quoi ressemblent mon t-shirt gris, mon visage ou mes cheveux ruisselants.

Je regarde une dernière fois l'heure et je soupire en n'entendant rien d'autre que le silence provenir de l'autre côté de la porte. Ce qui me désespère n'est pas que personne ne vienne m'ouvrir, car j'imagine que je pourrais entrer sans prévenir. Non, ce qui m'inquiète, c'est qu'aucune fête ne semble avoir lieu dans cet appartement. Il est une heure trente-deux du matin et je suis censée retrouver des potes. Plus précisément, des camarades de classe, que je connais depuis quinze jours et qui ont décidé de célébrer une fois de plus la rentrée. Céline m'a conviée quelques fois à ses soirées, pourtant, je n'y suis jamais allée. Elle m'a assurée que je pouvais me pointer quand je voulais et que ses bringues duraient toujours jusqu'à l'aube. Alors ce soir, j'avais prévu de m'y rendre. Eh bien, nous avions tort.

June Wild, L'effet d'un caillouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant