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[Le coup du trottoir]

— La succession de bonnes journées commencera demain, dis-je en me garant tout près du Wall.

Je fais rouler mes épaules, tentant vainement de détendre mes trapèzes. J'ignore où je vais trouver l'énergie nécessaire pour m'extraire de ce tas de ferraille. Oui, même si sa Jeep est plutôt confortable, au bout de dix-huit heures de voyage, ce n'est rien plus qu'un amas de métal sur roues.

— Ce n'en était pas moins barré de rentrer d'une traite, prononce Nate en bâillant.

— C'était d'un ennui profond. Tu ronflais chaque fois que je conduisais. Je n'étais pas prête à passer autant de temps avec moi-même.

Il rit dans sa barbe, sans parvenir à libérer son éclat si caractéristique.

— Au moins, demain, j'ai encore un jour off. On va pouvoir se reposer et défaire tes affaires.

— Tu vas m'obliger à le faire rapidement, n'est-ce pas ?

— Je le ferais dans la seconde, s'il me restait une once d'énergie.

— On va dormir dans le même lit ?

— Oh, tu ne t'inquiètes de ça que maintenant ? Petite cervelle défaillante, se moque-t-il ensuite dans un ultime effort que j'apprécie.

Je réprime un sourire, lui tire la langue et lui fais un geste obscène. Voilà, je suis rincée. C'est pire qu'une jauge vide à ce stade.

— Pour cette nuit, oui, conclut-il.

𝅘𝅥𝅮

Le lendemain, je me réveille peu avant huit heures avec la sensation inverse d'avoir bien dormi, d'un sommeil lourd et profond, d'un coma de douze heures, réparateur et serein. Non, j'ai été bousculée, chassée par des coups de pied, des grognements, des mains hostiles et le froid d'une couette disparue. Une nuit affreuse. Et quand j'ai envisagé d'étouffer le responsable de ma torture, je me suis rendu compte qu'il m'avait aussi volé mon oreiller. Le pire, c'est que l'homme qui se réveille à mes côtés semble avoir dormi comme un loir. Il me sourit, visiblement content de me voir et d'être chez lui, alors que moi, je le fusille du regard l'air de dire : « Va brûler en enfer, ne t'avise même pas de me parler, t'es un homme mort, tu ne le sais juste pas encore. » Il doit comprendre la pensée que j'entreprends d'insinuer dans son esprit avec force, puisqu'il fronce les sourcils, hoche la tête et éclate de rire.

Ce rire. Putain, ce rire !

Je saisis mon oreiller, le sien. Oh, je ne sais plus ! Je le prends et je lui saute dessus. À califourchon sur son corps, je tente de l'étouffer en écrasant mon arme moelleuse sur son visage. Il ne se débat pas vraiment, il est trop occupé à rire. Encore. Je lui pince le téton et il s'arrête aussitôt. En un battement de cœur, il me plaque le dos au matelas. Son souffle est lourd, sa mâchoire se contracte et son regard n'a jamais été d'un vert aussi sombre. Il me scrute avec attention et aucun d'entre nous n'a envie de rire.

— À quoi tu joues, Cooper ? me demande-t-il d'une voix qui semblerait presque lourde de sommeil.

— Tu m'as fait vivre un enfer cette nuit, Nate. Coups de pied, coups de coude, vol de couette et d'oreiller, grognements.

— Je n'ai rien fait de tout ça, se défend-il.

— Oh, que si, Nate !

— Et je ne faisais pas ça, à Berlin ?

— Non.

« Non, à Berlin, même si l'on s'endormait à chaque extrémité du lit, ivre d'alcool, saoul de fatigue ou tête-bêche, je terminais toujours lovée dans tes bras », pensé-je sans vouloir lui avouer.

June Wild, L'effet d'un caillouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant