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[J'aurais pu t'aimer]

— Jude...

Sa voix paraît surprise, il ne s'attendait probablement pas à me trouver en bas de chez lui.

— Salut, Elia. On marche ensemble ?

Nous descendons la rue, l'un à côté de l'autre. Quand nous arrivons un peu plus loin, dans l'escalier qui mène à la place, il me prend la main.

— Jude, j'aimerais qu'on s'arrête ici, si tu veux bien.

— Tu es sûr ?

— Oui, j'en ai besoin.

Je lui souris et sans nous lâcher, nous nous asseyons sur la marche froide et mouillée, celle qu'il préfère dans toute la ville. C'est glacé, inconfortable, mais peu importe, parce que ses doigts sont autour des miens et qu'on se trouve dans son refuge.

— Elia, commencé-je timidement, je me suis enfuie précipitamment hier, sans te laisser finir...

— Mon histoire est terminée, tu es sortie avec ta guitare, Ellen est partie et la suite, tu la connais. Je ne pense pas que ce soit utile d'en dire plus.

— Je ne suis pas certaine de ce que ça vaut, Elia, mais je suis profondément désolée de ne pas t'avoir donné la chance que tu méritais, celle de me parler, de me retenir ou de me suivre. Je suis aussi tout à fait consciente que tu as tenu chacune de tes promesses, y compris les plus difficiles, même si je ne m'en suis pas montrée digne. Je le sais maintenant, je le comprends. Tu n'as jamais cessé de me voir et tu m'as toujours choisie. Et pour toutes ces raisons, c'est particulièrement éprouvant de te dire tout ça.

J'essuie mes larmes et je me tourne vers lui, sans savoir lequel d'entre nous serre la main de l'autre le plus fort.

— Tu n'es pas obligée de le faire, je l'ai compris depuis longtemps. Je crois que... J'ai juste décidé de me voiler la face, mais tu n'es pas...

— Je le suis et je te le dois. Tu mérites d'avoir une fin.

— On le mérite tous les deux, Jude.

— Elia, je veux que tu saches que cette relation n'a jamais été à sens unique. Pas une seule fois, tu m'entends ! Tu m'as fait vibrer dès que nos regards se sont croisés sur le pas de ta porte. Tu es la première personne à m'avoir vue telle que j'étais. Celle que je pouvais devenir. Tu es le premier à m'avoir fait rêver. Avec toi, tous mes mots étaient sincères, toutes mes notes incroyablement justes et tous mes souffles réels. Tu es et tu resteras essentiel pour moi, Elia. Notre relation a été courte, mais belle, peu importe ce qu'il s'est passé. Si c'est le prix à payer pour avoir vécu ça avec toi, alors ça en valait vraiment la peine. Je te le promets, je n'avais jusque-là jamais ressenti pour quelqu'un, ce que j'ai éprouvé pour toi.

Nous sommes tremblants et nos yeux sont brouillés de larmes.

— C'était réciproque, Elia, déclaré-je d'une voix étranglée, c'était réel et c'était magnifique.

— Oui, Jude, ça l'était...

— J'espère de tout mon cœur que tu ressentiras un jour toute l'affection que j'ai pour toi.

— C'est déjà le cas.

— Tu es une belle personne, Elia, n'en doute jamais.

— Jude, murmure-t-il en se rapprochant de moi.

Son visage est si près du mien que tout mon être se mobilise dans la seconde. Le mémoire de mon corps, toujours, mais surtout cette envie réelle de graver en moi un dernier souvenir doux, un condensé de nous. Son regard s'allume comme je l'ai admiré mille fois, à l'exception que cette étincelle peine à brûler sous la houle de son émoi.

June Wild, L'effet d'un caillouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant