.17.

595 26 1
                                        

     Durant près d'une heure, la voix grave et autoritaire du Père Kang a résonné dans le secteur «éditions». Nous n'avons pas osé bougé de nos bureaux. Personne n'a levé le petit doigt, ne souhaitant pas attiré l'attention des deux hommes en train de se disputer. Je me suis contenté de faire mon travail, zyeutant parfois mon portable, espérant une réponse de Kai, mais rien.

    M. Kang est finalement sorti de son bureau, le visage froid et sa main desserrant sa cravate dans un geste vif. Son père est à son tour parti, nous saluant au passage. Il était souriant. Ça m'a presque fait froid dans le dos en sachant qu'il venait d'hurler contre notre nouveau patron.

    Nous n'avons pas revu Kang Dae-Ho de la journée. On nous a transmis par mail ce qu'il souhaitait que l'on fasse aujourd'hui et surtout, la soirée barbecue. A ce que j'ai pu comprendre, il n'y a pas beaucoup de monde qui s'y rend. Je trouve ça assez dommage. Sur toute l'équipe, nous ne sommes que sept à y aller, c'est à peine la moitié de la section éditions. Enfin, je vais quand même profiter d'un repas offert par la boîte.


    18H40. Nous quittons tous les bureaux pour rejoindre notre patron au point de rendez-vous. Puisque c'est juste à côté, nous nous y rendons à pieds. Sur le chemin, personne ne parle. L'ambiance va être exceptionnelle ce soir, youpi. Je soupire d'avance et jette un œil à mon portable. Kai ne m'a toujours pas donné signe de vie. Il a vu le message, mais n'a pas pris la peine de répondre. Je devrais peut-être le recontacter plus tard.

- Seo-Jun, dépêche-toi !

    La voix de mon collègue me fait lever les yeux. Je n'avais pas remarqué que j'avais ralenti le pas et que j'étais assez loin derrière. Je range mon téléphone et les rejoins, enfonçant mes mains dans les poches de ma veste. Nous finissons par arriver devant le restaurant.

    M. Kang se tient sur le trottoir, les mains dans son pantalon de costume, la chemise ouverte sur quelques boutons. D'ailleurs, ses cheveux semblent désordonnés. Lui qui fait tellement soigné au travail, il s'est décontracté pour la soirée. En nous voyant arriver, il nous lance un grand sourire et s'exclame :

- Bonsoir à tous ! J'espère que votre journée s'est bien passée !

    Mes collègues lui répondent poliment. Je reste en arrière, l'observant un instant. J'arrive parfaitement à voir qu'il essaie de dissimuler son malaise par rapport à l'intervention de son père, ce matin. D'ailleurs, s'il n'y a pas beaucoup de monde à ce repas d'entreprise, c'est simplement parce que la plupart des employés n'apprécient pas le nouveau patron. Ils le trouvent trop prétentieux. Enfin, c'est ce que j'ai entendu dans l'open-space, à plusieurs reprises.

    Pour ma part, je le trouve très pro. Il reprend une entreprise familiale et on peut très bien voir qu'il a les compétences pour diriger Kang Books. Il a besoin de temps pour s'acclimater à tout le monde et cerner ses employés. Moi, je l'aime bien.

- Allez-y entrer ! s'écrie l'homme, sourire aux lèvres.

    Il tient la porte pour que nous entrions dans le restaurant. Mes collègues passent devant tandis que j'avance tranquillement. Je passe près du patron et lui lance un regard. Effectivement, ses cheveux sont complètement défaits et tombent sur son front. Ça lui va bien.

- Bonsoir, Seo-Jun... souffle-t-il.

    Immédiatement, un frisson me parcourt. Le son de sa voix est si suave. J'adore. Je lui souris et penche un peu la tête. Je sens son regard se fixer dans mon dos. J'avance un peu pour le laisser entrer. Un employé nous conduit vers une salle où nous pouvons être qu'entre nous.

    Monsieur Kang et moi sommes les derniers à entrer. Résultat : nous sommes côtes à côtes. Je mentirais si je n'étais pas un peu déstabilisé de passer toute la soirée, juste à côté de lui. Il est beau, sent bon, gentil et incroyablement charismatique. N'importe qui serait impressionné par sa prestance.

- Ce soir, j'aimerais que nous profitions tous ensemble d'un bon repas. N'hésitez pas à me parler de problèmes dans la boîte ou quoi que ce soit. Je vous écouterai avec grand plaisir ! Santé à tous !

    Nous levons tous nos verres. Nous avons commandé du soju avec de la bière. M. Kang s'est révélé très doué pour servir les boissons. Grâce à ça, l'ambiance s'est détendue. C'est beaucoup plus jovial et festif. Tout le monde parle librement et se sert à manger. Je passe une belle soirée. C'est sympa.

- Seo-Jun ?

    Alors que j'enfourne un bout de viande dans ma bouche, mon patron m'interpelle. Je tourne le regard vers lui. L'homme me fixe en riant, son poing soutenant sa tête, rivée vers moi. J'avale mon morceau en rougissant. Il ne faut pas fixer les gens ainsi, voyons Monsieur. J'ai bien failli m'étouffer.

- Oui, Monsieur ?

- Commence par m'appeler Dae-Ho. Nous sommes hors du bureau. Ensuite, je voulais trinquer avec toi...

    Voyant mon étonnement, l'homme pouffe de rire et lève sa main vers moi. Son pouce essuie le coin de ma lèvre pendant que ses yeux restent plongés dans les miens. Il porte ensuite son doigt dans sa bouche et me sourit. Mon cœur cogne dans ma poitrine et mes joues s'empourprent. Je saisis une serviette et frotte ma bouche. A quoi joue-t-il ? Il va me tuer à ce rythme.

    Dae-Ho lève son verre et me fait signe de prendre le mien. Je m'exécute, légèrement tremblant. A deux mains, je cogne le verre contre le sien en penchant un peu la tête. Nous buvons en même temps. Les joues de mon boss deviennent de plus en plus rouges et son regard brille. J'ai l'impression qu'il a un peu trop bu pour ce soir et n'a pas beaucoup mangé.

    Ne souhaitant pas qu'il soit malade, je me mets à le servir de la viande et toutes sortes de nourriture à notre disposition. L'homme mange en discutant avec les autres employés. Il est bien moins sérieux que lorsqu'il est au boulot. Visiblement, l'alcool le désinhibe pas mal. Son rire résonne dans la pièce et il est très bavard. C'est agréable de le voir ainsi. Cela change beaucoup de ce matin et de son expression si fermée. Je ne peux que me demander de quoi les deux Kang parlaient avec autant de véhémence. Enfin, ce ne sont pas mes affaires.

    La soirée s'est terminée tranquillement. La plupart des employés repartent en saluant le PDG. Ce dernier est assez amoché. Il est complètement soule, tout comme plusieurs autres collègues. Etant le dernier à sortir, je me retrouve à le gérer. J'ignore pourquoi mais j'ai une étrange sensation. Ce soir, rien ne va pas se finir paisiblement. Je le sens au plus profond de mes entrailles.

    Maintenant, est-ce que ça sera dans un mauvais sens ou non ?

UNDER THE RED LIGHTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant