Chapitre 4

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Les jours qui ont précédé le procès ont été terribles. Les grands, toujours la même bande, se déchaînaient chaque fois qu'il m'apppercevaient. Cent fois par jour, le mot «Balance» traversait les couloirs. Les mauvaises plaisanteries, les jeux de mots douteux du style «On les met où les cent grammes ? Dans la balance ! », les bousculades, les coups de pieds sournois... J'avais droit à tout.

- Tiens bon, me réconfortait Salomé.  C'est la racaille qui te harcèle. Regarde, il y en a plein qui ne disent rien. Je suis sûre qu'ils pensent que tu as raison.

Peut-être le pensaient-ils, mais ils ne réagissent pas et ils laissaient faire sans me manifester le moindre soutien. Le découragement s'emparait de moi. Je m'interrogeais chaque jour davantage. Parfois, je me disais que cette affaire ne me concernait pas et que mon entêtement à vouloir jouer le héros me pourrissait la vie. Allais-je pouvoir supporter ce harcèlement jusqu'à la date du procès ? Est-ce que je ne resterai pas éternellement
la « Balance »
Un mardi matin à la récré de dix heures, alors que les mots "Balance'', ''cafteur'', ''pourri'' au autre Vincent-cent-grammes''circulaient dans les couloirs au milieu des ricanements, le petit de 6e à qui j'avais failli mettre une gifle s'est planté devant moi:

- T'es complètement ouf. Tu joues avec ta vie. Ses copains, t'y as pensé ? On voudrait pas être à ta place après le procès.
- De la bouillie ! Ils vont d'exploser la tête, a enchaîné le grand qui le protégeait à tout moment. Ils vont te décalquer a coups de battes de base-ball. Ils tolèrent pas les balances, eux.
- Et après, tes copains les keufs s'ront plus là pour te défendre, a conclu le petit.

J'ai eu soudain peur. Les représailles.
Je n'y avais pas pensé. Au collège, pour les petites choses comme pour les histoires très graves, tout le monde se tait par peur des représailles. C'est le système. On te vole tes affaires, mais tu dis que tu les as perdues.
On te frappe, mais tu réponds que c'est pour jouer point dans les escaliers, certains profitent du manque de surveillance pour tripoter les fesses ou la poitrine des filles les plus timide, mais elle n'ose pas protester. On t'insulte, mais tu fais semblant de ne pas avoir entendu. Les profs eux-mêmes, quand ils se font injurier dans les couloirs ou dans la rue, font semblant de ne rien entendre. Pourquoi ces silences ? Réponse: le peur des représailles.
Un soir où j'avais le moral au plus bas, j'en ia parlé a Salomé :
Au fond, on devrait se révolter au lieu d'avoir toujours la trouille. Tu ne crois pas ?
Salomé ne m'a pas répondu mais ses yeux noirs m'ont fixé un long moment. L'idée faisait son chemin dans sa tête. Je l'ai compris le lendemain auand madame Ruiz lui a adressé ses traditionnelles vexations:

-  Devoir bâclé ! Tu as encore regardé la télévision au lieu de travailler !

Madame Ruiz était sur le point d'enchaîner quand Salomé s'est levée et, très poliment, lui a repondu:

- Non, madame, j'ia passé deux heures et demie sur ce devoir. Vous pouvez indiquer que les réponses sont inexactes, mais vous n'avez pas le droit d'écrire que c'est un devoir bâclé, tout simplement parce que ce n'est pas vrai.

Puis elle s'est assise, très calme, et a soutenu le regard de madame Ruiz. Il s'est fait un grand silence dans la classe. On s'attendait à un coup de tonnerre, des cris, des menaces, une punition... Il ne s'est rien passé. Madame Ruiz a tourné les épaules et à poursuivi d'une voix devenu étrangement petite :

    -Jean-Louis, ton devoir est excellent.

Salomé m'a adressé un sourire et elle m'a chuchoté à l'oreille '' À partir de maintenant, on résiste !''

Une dizaine de jours avant le procès, les journaux ont parlé à nouveau de l'affaire et publié des photos du pompier tabassé. L'enquête avait prouvé que le voyou, contrairement à ce qu'il avait affirmé le jour de son arrestation, avait bien participé aux bagarres, non seulement devant le stade, mais aussi dans tout le quartier point il avait fini par avouer qu'il était passé dans notre rue et qu'il avait vu les deux ambulances mais il continuait à nier farouchement être l'auteur des coups portés contre le pompier point certes, il reconnaissait la voir vu à terre, mais il répétait qu'il avait pris la fuite sans participer au lynchage.

Tout reposer donc sur mon témoignage.
     
Le mardi matin, plusieurs classes sont regroupés pour aller au stade. Nous travaillons en groupes. Le prof passe de l'un à l'autre. Évidemment, il ne peut pas être présent partout en même temps. Ce mardi là, je me suis retrouvé dans un groupe, avec des élèves dont certains appartenaient à la bande qui me persécutait

- faut supporter l'odeur !  a commencer un rouquin en se bouchant le nez
Ça pue le pourri !
- Ah ! La pourriture !
- Tu veux dire la Balance !

Je ne répondez pas, mais je comprenais que le ton était donné. Il y a eu les insultes, puis les coups de pied, puis les haies positionnées à l'envers pour sue je tombe. L'entraînement est devenu un combat où j'essayais à tout moment d'esquiver les coups. Au départ de la première course, alors que je démarrais hors du starting block, un pied s'est tendu. Je me suis affalé de tout mon long, tendant les mains en avant pour protéger mon visage. Quand je me susi relevé, les paumes écorchées, des ricanement ont fusé. Celui qui avait tendu la jambe levait les bras au ciel pour se disculper et expliquait au prof qui accourait:

  - j'ai rien fait, m'sieur, il s'est vautré tout seul.
Le prof m'a permis d'aller dans les vestiaires pour me laver les mains et c'est là que j'ai découvert mes affaires, éparpillées aux quatre coins de la pièce, piétinées, mouillées, trempées dans les toilettes. À ce moment, j'ai eu envie de pleurer, mais j'ai pensé à Salomé
'' On résiste !''

Quand je suis revenu sur le stade, le prof avait constitué de groupe. Manque de puissance ; je me trouvais dans celui où il n'était pas, à l'autre bout du stade, pour travailler les départs de course. Je me suis senti plus seul que jamais.

'' Pourri!'' '' Balance !'' ''on va t'éclater la tête !''
''Indic!'' '' Sale keuf! ''

  Rapidement, hors du regard du prof les coups se sont mis à pleuvoir. Ils m'ont fait tomber sur les genoux. Mon survêtement s'est déchiré. Ils m'ont donné des coups de pied, de poing, ricanant et m'insultant. Je n'en pouvais plus, j'ai craqué... J'ai éclaté en sanglot et, sous le débordé de ''pleurnichard'' , '' fils de pute'' et autres ''nique ta mère'', j'ai traversé le stade et j'ai couru en direction de la sortie.
Les '' M'sieur, M'sieur, il s' barre'' ont attiré l'attention du prof qui s'est mis à hurler :

  -je t'interdis de sortir. reviens ici tout de suite !
    
      Mais il était trop tard, j'avais déjà franchi la grille du stade.

Unique témoin (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant