Chapitre 25

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Encore deux semaines sont passées. Deux semaines sans le voir, sans entendre parler de lui. Pourtant, chaque jour, j'y pense. Je voudrais tout oublier, ce serait tellement plus facile... Mais je n'y arrive pas. J'ai arrêté d'aller en cours. À quoi bon ? Mes crampes sont de plus en plus fréquentes et je n'ai plus le cœur à danser. Mon médecin m'a parlé de dépression. Vraiment ? Je rirais presque.

Un psy m'a gentiment dit que je ne devais pas me laisser abattre, mais c'est facile pour lui. Ce n'est pas lui qui dépérit à vitesse grand V.

Je suis devant l'école et il est midi. Je reste cachée derrière un arbre en attendant que mes anciens camarades de classe sortent. C'est aujourd'hui que mon rêve s'achève et je n'ai pas besoin de spectateur. Leur dire au revoir ? Pour quoi faire ? Je ne leur manquerai pas, et eux ne me manqueront pas non plus. Je n'ai pas eu le temps de me lier d'amitié. Alors, ce n'est pas bien grave. Par contre, cette école...

Dans ma tête les images de mon entrée en septembre, de ma fierté à l'idée d'enfin l'intégrer, défilent. C'était hier. Il y a tout juste quelques semaines. En moins d'un trimestre, ma vie a pris un tournant totalement différent. J'étais insouciante, je croquais la vie à pleines dents. Aujourd'hui, je broie du noir et rien n'arrive à me faire sourire. Je suis morte avant l'heure. Cet état d'attente, cette perdition progressive de mes facultés, ce n'est pas vivre. Qu'ils aillent tous s'étrangler avec leurs discours de motivation, les médecins, les psys, tous autant qu'ils sont.

Vous est-il déjà arrivé de vous demander « à quoi bon » ? De vous dire qu'une vie comme ça ne vaut peut-être pas la peine d'être vécue ? Il n'y a rien de pire que de se connaître une date de péremption. Le médecin m'a expliqué qu'il y avait deux types de réactions. Ceux qui se mettent à profiter du temps qui leur reste et ceux qui préfèrent se laisser mourir. Je suppose que je fais partie de la deuxième catégorie.

Maman ne m'aide pas beaucoup. Elle passe ses journées et ses nuits à faire des recherches dans l'espoir de trouver une étude, ici ou ailleurs. Julia, elle, n'est toujours pas au courant et Seth ne fait désormais plus partie de ma vie. Je sais, c'est de ma faute et c'est moi qui l'ai voulu. Je n'ai pas choisi la maladie, mais il fallait l'épargner. Est-ce que j'en souffre ? Tellement. Est-ce que le regrette ? Je ne sais pas.

J'attends que les élèves aient déserté l'entrée de l'école pour y pénétrer discrètement.

Je m'approche du gardien et lui tends ma carte d'étudiante pour récupérer les clés de la salle de danse où sont donnés les cours des premières années. D'habitude cette salle est réservée à l'enseignement, mais je lui dis que j'ai des affaires à récupérer et il me la tend gentiment.

Aujourd'hui, je vide mon casier et tourne la page. Je ne veux pas repousser l'échéance, il est temps de laisser cette école derrière moi et d'oublier mes rêves.

Ma main serre la clé dans ma paume et je traverse les couloirs avant d'entrer dans la salle. Tête baissée, mes yeux se ferment aux souvenirs qui déferlent dans ma tête. Je me retrouve dans le vestiaire et ma main tape de façon mécanique le code de mon casier avant de l'ouvrir. Mon bras n'amorce aucun mouvement tandis que mon regard contemple mes tenues, mes chaussons de danse, mes bandages. Absolument tout ce qui s'y trouve.

Mon corps s'active et, d'un geste rageur, j'enfourne le tout dans un sac. Je ne prends pas le temps de les ranger correctement. Mes gestes sont vifs, presque violents. Mais je suis en colère contre le destin, le hasard, la fatalité. Peu importe le nom qu'on lui donne. Je suis en colère contre tout ça et je ne peux même pas le danser. Sauf que depuis toujours, je n'ai fonctionné qu'ainsi. Chaque émotion était dansée. Je ne sais pas faire autrement. À cause de cette maladie, j'ai perdu l'une des seules choses qui me donnaient l'impression d'être vivante.

Plutôt mourirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant