1. Ethelred

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Old College, South Bridge, Edinburgh

Le mégot de ma cigarette s'écrase contre les pavés glacés, créant un halo de buée en atteignant le sol. J'ai beau frictionner mes mains gelées, je ne sens plus mes doigts.

Foutu temps écossais merdique.

Et quelle idée de sortir fumer au début du mois d'octobre, en pleine matinée.
Je ne peux m'en prendre qu'à moi même.

Les semelles de mes bottes usées laissent des traces sur le parquet lustré d'un des nombreux couloir de cette université trop remplie à mon goût. J'ai toujours étouffé entre ces murs, aussi haut soient ils. Dans le trou paumé où j'ai grandi, nous étions dix fois moins nombreux et je me plaignais de ne pas être assez entouré. Je voulais goutter à la grande ville. En ayant Londres sous les yeux j'avais des rêves pleins la tête. Mais Edinburgh est bien différente sur tout les points. Sans parler de ce foutu accent écossais qui gâche chaque phrase sorti de la bouche de n'importe qui ici.

Les grandes portes de l'amphithéâtre claquent derrière moi, et au vu du regard mécontent de monsieur Murray, mon retard ne le ravi pas.
Je me hâte de monter les marches en bois quatre à quatre, non pas que je sois gêné d'avoir dérangé le cours, j'ai juste qu'une seule envie, celle de poser mon cul sur ces bancs en bois aussi confortables que ceux de l'Église.

Le soixantenaire reprend, le calme perdurant difficilement dans la classe. Je n'ai jamais compris pourquoi les gens se pointaient ici si ils n'ont aucune envie de venir. Sans être rabat-joie, si leur seule motivation est de discuter sans cesse de ce qu'ils ont mangé la veille, ou autres conneries, autant le faire dehors. Je viens assez rarement en cours pour au moins prendre note quand je suis là. L'histoire de l'art n'est pas une thématique passionnante mais assez pour qu'elle figure sur la liste des cours que j'ai décidé de garder à mon programme personnel.

Celle qui fait le plus de bruit se trouve quelques rangs plus bas que moi, sur ma gauche. Ses cheveux blonds bien plaqués en arrière, ainsi que ses ongles rougeoyant; ne laissent pas de doute sur sa personne.

Il s'agit d'Emily Mitchell.

Je ne comprends pas comment l'un de nous ne lui a pas déjà arraché la tête pour la faire taire, elle et sa voix de crécelle. Accompagnée de ses deux fidèles acolytes, elles font une version low-cost des pestes du film Mean Girl. Et ce n'est en aucun point un compliment. Elle est connu ici pour faire parti de ces filles populaires, que tout le monde hais mais respecte et admire, aussi paradoxale que cela puisse être.

Mon regard s'attarde sur les autres élèves présents, et pour ne pas changer, l'amphithéâtre n'est pas bien remplis. Quelques assidus sont installés aux premiers rangs, prenant note de l'intégralité des paroles de monsieur Murray, tandis que quelques personnes traînent sur les côtes, à moitié dans leurs pensées.

Mes yeux se posent sur une petite rousse sur le côté droit de la salle, jouant avec son crayon de bois entre ses doigts fins. Elle est seule, personne ne lui parle et ça n'a pas l'air de lui déplaire. Ses cheveux roux sont noués ensemble partiellement, retenus par un flot brun à l'arrière de sa tête, n'enlevant rien à l'impression d'épaisseur de sa tignasse.
Je ne l'avais jamais remarqué avant, pourtant le cours d'histoire des arts est un des rares que je ne loupe presque jamais.
Elle a l'air plus plongée dans son livre que dans le cours, mais je ne peux pas lui en vouloir, aujourd'hui il traite du travail du Caravage, peintre préféré de Murray. Nous avons le droit à quelques heures sur lui, toutes les semaines, c'est au moins la troisième fois que je tombes sur ce cours.

Au lieu de sortir mon ordinateur portable, j'attrape mon carnet de croquis et quelques crayons dans ma trousse. Mon attention se porte à nouveau sur la petite rousse aspirée par son bouquin. Son gros flot prend la place centrale de mon dessin immédiatement, tandis que je m'attarde sur les petits éléments de dentelle reliant les différentes pièces de tissus de sa robe noire. Ses fines mains agrippant son livre, ainsi que ses poignets aussi épais qu'une brindille. J'ai terminé. Et ma présence ici l'est également.

Beyond The GraveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant