Remember me

30.

Andrew

Le jour des funérailles est rapidement arrivé, j'ai aidé ma mère à tout organiser. Tellement de chose à penser, à décider: de la matière du cercueil, à l'emplacement au cimetière, à la parution de l'avis de décès... tout s'est enchaîné si rapidement.
Je sers les dents pour contenir mes larmes et me montrer fort devant ma mère et ma fille.
Anna, si triste, je ne sais pas si elle réalise réellement qu'elle ne reverra plus son grand-père. J'ai moi même du mal à intégrer l'idée.

L'église se vide pour accompagner le cercueil au cimetière. Le prête bénit une dernière fois mon défunt père avant que son cercueil ne soit mis sous terre. Je succède ma mère pour lui dire au revoir en jetant une rose dans l'abysse, comme le veut la tradition, et quand je relève les yeux, je croise ceux qui ont hanté mes nuits si longtemps. Elle est venue.
Vêtue de noir, en retrait, elle ne quitte pas la scène qui se déroule sous ses yeux. Ses yeux gonflés et rougis par les larmes. Mon coeur se serre davantage, partagé entre la haine et l'amour, je ne sais pas si je suis content ou non de la voir. Je la trouve gonflée d'être là après notre dernier échange. Après un long moment à se fixer, elle finit par baisser les yeux alors que je regagne ma place à côté de ma fille. Une fois le cercueil enterré, je la cherche du regard mais je ne la vois plus, elle s'est évaporée. Les employés des pompes funèbres prennent leur pelles pour ensevelir le cercueil sous nos yeux. Figé, ma mère me prend le bras pour prendre sa suite et regagner la voiture, talonnés par nos proches. Remontants cote à côte l'allée, ma mère me chuchote:

- Romy est venue...

- J'ai vu, oui.

- je ne pensais pas la voir là, mais c'est bien qu'elle soit venue quand même, ton père l'aimait beaucoup...

Je bouillonne intérieurement. Ce n'est pas le moment de faire une scène, je me contente de répondre du bout des lèvres:

- je sais oui...

Arrivée devant la voiture, prêts à monter, ma mère s'aperçoit qu'elle a perdu son étole.

- Installe toi dans la voiture avec Anna, je retourne la chercher.

Je fais demi tour dans l'allée en gardant les yeux au sol pour tenter de retrouver cette écharpe. Lorsque j'approche de la tombe de mon père, j'entends des murmures. Je relève la tête du sentier et vois Romy à genou devant l'endroit où repose mon père.  Je m'arrête et tends l'oreille, sans faire de bruit. Romy sanglote, un bouquet entre les mains.

- vous allez terriblement me manquer...

Elle pose le bouquet qu'elle a entre les mains et le pose sur la terre face à elle

- Je sais que vous aimiez les lys blancs...

Mon coeur se serre, elle le connaissait bien, je crois que moi même je n'aurais pas su quoi choisir.

- Je suis désolée Will... je vous ai fait des promesses que je n'ai pas pu tenir... je vous souhaite d'être en paix, vous méritez la quiétude aujourd'hui, plus que quiconque.

Elle lache un faux rire entre deux sanglots.

- on peut dire que cette fois vous vous êtes trompé! Vous m'avez bien eu ! Avec vos belles paroles. L'amour de votre fils a mon égard, n'est plus. Je crois que c'est le dessein de ma vie... vous saviez, vous saviez depuis le début, depuis que j'ai mis les pieds dans votre maison, combien j'aimais Andrew, vous l'aviez vu, mieux que lui. Je m'étais enfermée dans une vie que je n'aimais pas, pensant mériter que ça, je crois que c'est moi qui avais raison pour le coup, j'aurai dû garder les yeux ouverts sur ma situation. Les histoires d'amour avec un grand A ne sont pas faites pour moi, j'aurai du me contenter de les lire dans les romans que je publie au lieu de croire que je pouvais moi aussi le vivre, l'espoir fait souffrir. Votre fils...

Elle marque un arrêt, cherchant quoi dire. Je déglutis, les larmes inondent mes joues, en silence.

- votre fils ne veut plus que je fasse partie de sa vie, même si lui,  est l'autre partie de la mienne...je ne porterai jamais le même nom que vous, je suis désolée. Je ne peux tenir cette promesse, indépendamment de ma volonté. Mais vous savez, je pense que je serai incapable d'en porter un autre....
Je vous dis au revoir, vieux fou, Je crois que c'est la dernière fois qu'on se verra... je ne pense pas que je serai la bienvenue à l'avenir. Reposez en paix.

Elle essuie son visage d'un revers de main, je n'ai pas bougé, figé par tout ce que je viens d'entendre. Je regrette qu'on en soit arrivé là, mais je n'arrive pas à me défaire de la trahison.
Elle se redresse et essuie ses vêtements. Elle se retourne dans l'allée et se fige en croisant mon regard. Je ne la lache pas des yeux, je n'arrive pas à articuler.

- Salut...

Un chuchotement à peine audible sort de ses lèvres. Je ne cesse de la fixer , sans répondre. Elle soupire et baisse le regard. Elle s'avance vers moi et s'écarte pour me dépasser sans un mot à mon égard. Je n'arrive même pas à la rattraper. Je ne sais pas si j'en ai envie. Je la regarde s'éloigner et monter dans sa voiture, le coeur lourd. Je fais demi- tour et monte au volant de la mienne

- Alors? Mon etole?

Ma mère me sort de mon état second, j'en ai complètement oublié de chercher son etole.

- pas trouvée... je t'en offrirai une autre.

Je démarre en silence et roule vers la maison ou se déroule la réception. Anna monte se reposer dans sa chambre et ma mère s'attelle en cuisine. Je me décide à l'aider.
Je sors les plats du frigo et les tends a ma mère.

- tu aurais du lui dire de venir.

- à qui?

- Romy,

- Maman! Romy et moi c'est fini, accepte le!

- Mais enfin cheri! Tu ne peux pas la tenir responsable des dernières volontés de ton père!

- Elle me l'a caché!

- encore une volonté de ton père...

- Arrete maman!

- C'est du gachis Andrew, Elle est incapable de te faire du mal volontairement. Ton père ne voulait plus se battre, elle a juste accepté de l'écouter et de ne pas s'acharner. Moi je la remercie d'avoir fait ce que j'aurai été incapable de faire.

- maman stop!

Je hurle, je n'en peux plus.  C'est trop! Je pose le plat et passe ma baie vitrée pour atterrir sur la terrasse. Je prends des inspirations amples pour me calmer. Le soleil se prépare à se coucher, faisant scintiller l'océan.

- Papa ... je crois que j'ai merdé... encore une fois... par chagrin, par colère... aide moi...