HUENING KAI A CHOI SOOBIN, BOÎTE AUX LETTRES BLEUE DE SEOUL
Je suis autant surpris que ravi de ta réponse, Choi Soobin. Je comprends chacune de tes réticences, mais je ne parviens plus à me défaire de ce sourire niais qui décore mon visage depuis que je serre entre mes mains le papier sur lequel tu as couché tes mots. Je suis heureux de faire ta rencontre. Je pourrais clamer haut et fort que je ne suis pas en tueur en série. Je crains cependant que cela ne soit pas rassurant. Les êtres les plus mauvais ne sont-ils pas les premiers à clamer la bonté de leur âme ? Je n'exigerai pas ta confiance instantanée. Je ne parviens pas à retenir l'extase qui se répand dans mes veines alors que je reçois une réponse à ma lettre. Tes mots illuminent une journée bien terne.
Tu me parles de ces œuvres de fiction qui ont construit ton imagination et conjugué ta culture personnelle. J'ignore tout de ce genre d'œuvre. Je crains qu'elle ne puisse exister dans le monde qui m'entoure. Je ne me souviens pas de la dernière fois où mes pensées ont été accaparées par une histoire fictive. Celles qui me sont racontées sont toutes liées à ma propre vie ou à la réalité du monde. Cela me paraît triste maintenant que je rends mes mots éternels en les traçant sur le papier fin. Je ne sais pas si les intelligences artificielles nous ont enlevé la joie de créer de nouvelles histoires. Je suis trop jeune pour me souvenir de cette époque où elles n'étaient encore que des serveurs balbutiants. Elles sont partout désormais et ont effacé la créativité humaine dans leur sillage. La plupart des gens ressemblent à des robots sans imagination autour de moi.
Maleko s'érige en parfait exemple de cette rigidité qui se propage chez les adultes comme une épidémie d'ennui pur. Ils grandissent et perdent cette lueur créative qui brillait dans leurs prunelles innocentes. Les sourcils broussailleux et gris de Maleko ne se relâchent jamais et sa ride du lion se creuse toujours plus. Même le chirurgien le plus talentueux ne parviendrait pas à rendre les traits de son visage plus sympathique. Il reste cette figure sévère qui m'enseigne les mêmes leçons de morale depuis que je parviens à formuler des phrases correctes. Il les a répétées des millions de cette voix froide. Il les a répétés tant de fois qu'elles sont presque tatouées dans mon esprit. J'en suis presque arrivée à penser qu'une craniotomie révèlerait ces phrases d'une écriture élégante sur les plis de mon cerveau. Maleko ne change jamais de ton. Sa voix ne laisse transparaître que deux émotions : la sévérité et l'ennui. Mes parents racontent parfois qu'il a été plus serein dans sa jeunesse, mais je peine à l'imaginer. Je ne connais que ce visage glacial qui ne s'adoucit jamais.
« Tu me déçois, Huening Kai. A ce rythme-là, tu ne pourras jamais t'asseoir à la place qui est la tienne ; derrière le bureau de ton père. »
Il enchaîne ses leçons pour me transformer en cet héritier parfait dont mes parents rêvent depuis ma naissance. J'ai parfois l'impression qu'il aspire mon âme quand il m'enseigne la moindre leçon.
Les adultes possèdent tous cette austérité déprimante. Elle ne s'exprime jamais autant que chez Maleko cependant. Mes parents ne sont pourtant pas en reste. Ils alimentent les lubies de mon tuteur et s'empressent d'acclamer ses décisions étranges. Ils sont la raison pour laquelle je ne peux pas quitter le terrain familial ; la raison pour laquelle Maleko prend tant de plaisir à me voir tourner comme un lion en cage. J'enfreins une centaine de règles en franchissant le lourd portail pour poster cette lettre.
Je risque ma vie pour discuter avec toi, Choi Soobin.
J'exagère peut-être.
Mes journées sont chronométrées. Le tic-tac incessant de la montre à gousset de Maleko résonne dans mon esprit et elle rythme mes respirations. Je ne peux pas me permettre le moindre imprévu. Mes parents sont trop puissants pour que je me permette ces imprévus dont je rêve tant. Tu prends la forme de cet imprévu, Choi Soobin. Je suis navré de t'infliger cette lourde tâche. Ils ne pourront cependant pas t'effacer de ma vie par des coups de cannes ou en alignant une somme astronomique de billet sur une table. Nous ne vivons pas dans la même dimension. J'apprécie la lourdeur du crayon entre mes mains alors que je t'adresse ces mots.
Je refuse cependant que tu t'enfonces dans la certitude que ma vie se résume à de longues heures ennuyantes en compagnie de l'abominable Maleko. Mon temps échappe parfois au tic-tac assourdissant de sa montre à gousset. Mes sœurs m'offrent cette bouffée d'air frais dont mon corps manque parfois. Affirmer que Lea et Bahiyyih sont les meilleures sœurs du monde serait un mensonge éhonté, mais elles sont les seules sœurs que je possède. Je ne connais rien d'autre. Elles écrasent toutes les autres par ce simple constat. Elles apportent dans leur sillage cet imprévu dont Maleko a horreur. Il plane dans les airs comme un parfum interdit et il me protège de la morosité comme une seconde peau. Elles ont une tutrice moins stricte que je leur envie souvent. Sur leurs épaules ne pèse pas autant le poids de ce nom qui me fait horreur.
Nous nous retrouvons souvent pour échanger des banalités sans intérêt. Ce sont pourtant ces banalités sans intérêt qui animent ma vie et me permettent de respirer. Je ne serai qu'une réplique de mon tuteur sans leur présence. Ce regret l'accompagne chaque jour. Il ne parvient pas à me faire rentrer dans le moule du parfait héritier. Je m'en amuse.
Je rêve cependant de ces connexions en dehors du cercle fermé de ma famille. Ça me rend profondément heureux de pouvoir échanger avec toi qui ne connais presque rien de mon identité. Tu n'es pas un Huening et tu ne connais aucun Huening. Tu ne connais pas la prison dorée dans laquelle nous vivons et nous sourions. Je me sens plus humain en serrant le crayon entre mes mains tremblantes. Tu en apprends un peu plus à chacun de mes mots et j'anticipe les tiens. Je souhaite réellement découvrir qui tu es, Choi Soobin. Je souhaite réellement devenir ton ami. Tu me parles de morbides dans tes mots et je suis curieux de découvrir ces choses inconnues dont tu me parles.
Apprends-moi à comprendre ton monde.
Apprends-moi à échapper à l'ennui de mon existence.
Devenons ami, Choi Soobin ! Tu as l'air d'être une personne amusante et je meurs d'envie de découvrir chaque facette de ta personnalité.
Boîte aux lettres bleue d'Astéria
12 février
on avance petit à petit.
je ne sais pas vraiment quoi penser de ce chapitre. mais je vous présente un personnage original qui va revenir tout le long de l'histoire. j'espère que vous avez apprécié votre lecture.
on se retrouve dans deux semaines.
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letterbox romance
FanfictionEntre les lignes raturées de sa lettre s'écrivait sa relation avec Huening Kai. Rien ne les prédisposait à échanger le moindre mot. Ils ne partageaient rien en dehors de sentiments figés sur papier. ☆ début : janvier 2024 ☆ fin : xxx