LETTRE XIV

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HUENING KAI A CHOI SOOBIN, BOÎTE AUX LETTRES BLEUE DE SEOUL


Ton amitié sincère est un cadeau aussi magnifique que fragile. Elle me transforme en cet être chanceux que la moindre précipitation violente rendrait misérable. Le succès des gagnants de loteries ou la fortune de ma famille font pâle figure en comparaison à tes inquiétudes. J'entends l'optimisme de tes mots et je cherche à me persuader qu'il est encore temps de devenir la personne que j'ai toujours voulu être. Peut-être y arriverais-je grâce à toi. Je n'en ai pas la moindre idée, mais je conserve tes mots doux auprès de moi. Ils m'encouragent plus que tu ne puisses te l'imaginer. Je me sens fort lorsque mes doigts se referment autour de tes lettres. J'ai l'impression que je peux tout faire et que le ciel est ma seule limite. Je ne suis plus seulement Huening Kai ; l'héritier d'une puissante famille d'Astéria. Je suis Huening Kai ; le garçon perdu dans ses envies, le garçon qui ne sait pas ce qu'il souhaiterait faire de sa vie. Cette version de moi n'existerait pas sans toi. Elle se serait effacée derrière la volonté des adultes qui m'entourent.

Tes pensées inquiètes se tournent vers la présence menaçante de Maleko et je tiens à te rassurer. Il ne me suit plus à travers le manoir comme mon ombre. Ses suspicions se sont dissipées lorsque mes excursions dans le jardin se sont raréfiées. Je l'imagine croire à une relation interdite en dehors des limites de la maison. Il n'a pas complètement tort. Un sourire naît sur mon visage. Je sais qu'il n'atteindra jamais la personne avec laquelle j'entretiens ce lien proscrit. Tu es mon acte de rébellion, Choi Soobin. Tu es mon ami d'un autre monde que Maleko ne parviendra pas à m'enlever. Il n'y parviendra jamais.

Même s'il devient de plus en plus complexe d'exister en sachant que je ne croiserai jamais ton regard. Celui sur la photographie reste figé dans cette expression de concentration pure et il ne s'anime jamais. J'imagine parfois tes traits se détendre sur le papier et un sourire penaud étirer tes lèvres alors que tu te penches avec timidité pour récupérer le crayon dans la capuche de ta voisine. Un rire gêné vibre dans tes cordes vocales et tu passes une main dans tes cheveux comme si tu chassais le mauvais esprit qui t'a rendu maladroit. Mon imagination travaille autant que la tienne. Tu rêves de la silhouette menaçante de mon tuteur et je ne peux m'empêcher de songer à ta silhouette arpentant les couloirs de la maison.

C'est encore arrivé la nuit dernière.

Mon mirage nocturne s'est ouvert sur une nuit calme. La pollution lumineuse chassait les constellations du ciel et une lueur bleuâtre inondait la roseraie. Les couleurs vibrantes des fleurs s'atténuaient dans l'obscurité. Jamais leur parfum ne m'avait paru aussi enivrant. Debout au milieu des tiges épineuses, tu m'observais. Un large sourire étirait tes livres et animait tes prunelles. Tu m'intimais de te rejoindre d'un signe de la main. Mes jambes se sont réveillées avant que ma conscience ne leur hurle de te rejoindre. A chacun de mes pas dans la roseraie, de nouvelles rangées de fleurs apparaissaient ; créant sous mes yeux les couloirs d'un labyrinthe dont tu es le trésor.

Mes pas cherchent à te rejoindre à tout prix. J'entends ta voix m'appeler et me supplier de te retrouver à travers les ronces. Des ombres apparaissent dans le labyrinthe et me bloquent le chemin. Je repousse leurs mains qui s'accrochent à mes poignets et à mes chevilles. Je sens que je m'approche de toi et rien ne pourrait m'empêcher de te rejoindre. Même une silhouette que je devine comme étant celle de Maleko ne m'arrête pas. Lorsque j'arrive au centre du labyrinthe, ta main est tendue dans ma direction. Je m'empresse d'enrouler mes doigts autour des tiens et les ronces disparaissent. Je reste dans tes bras et me laisse bercer par les battements réguliers de ton cœur. Tu me murmures des mots que je ne comprends pas, mais ils me rassurent. Je me réveille lorsque tu t'éloignes de moi et j'ai à peine le temps de lire sur tes lèvres ces paroles que tu m'adresses :

« Tu parviendras à devenir celui que tu veux être. »

Ce ne sont pas vraiment tes mots. Ils viennent de mon subconscient, mais je te sais capable de les prononcer. Ils me donnent le courage d'affronter la journée et le regard suspicieux de Maleko. Mon tuteur se tient souvent aux pieds de mon lit. Il m'adresse ce regard strict et ennuyé qui lui est propre. Je devine ses pensées. Il faut que je me prépare rapidement pour le suivre. Je m'exécute sans ressentir ma peur habituelle. J'arrive à le repousser dans mon rêve et je me sens capable de le combattre dans la vraie vie. Il me fait moins peur depuis que nous nous écrivons. Puis derrière lui se tient un spectre qui te ressemble. Il émane de lui une bienveillance qui me rend courageux. Je me sens capable de tout faire. Tant que cette ombre se trouve là, je peux tout faire. Je peux affronter toutes les obligations de ma journée.

Et ma journée est aussi ennuyante qu'à l'accoutumée. Ça ne changera jamais vraiment. Mais tu es là. Tu te tiens derrière Maleko ou à mes côtés. Tu m'offres cette force qui me fait défaut. Si ta présence est synonyme de folie, alors je préfère me complaire dans cette folie qui me rassure. Nous marchons ensemble dans les couloirs interminables. Nous discutons avec des hommes importants dont les noms m'échappent parfois et dont les conversations m'ennuient. Il fait beau dehors. Je meurs d'envie de m'échapper et de profiter des rayons chauds du soleil sur mon visage. Je ne bouge pourtant pas d'un iota. Les hommes prendraient ma fuite comme un affront et je ne veux pas faire ce plaisir à Maleko. Je sens qu'il rêve de mes faux pas. Cela lui permettrait de modifier sa façon de m'enseigner ses leçons. Cela donnerait une excuse à sa sévérité sans limites. Alors je souris aux hommes et je m'engage dans leurs conversations. Dans un coin de la pièce, ton spectre m'encourage sans prononcer le moindre mot. Tu es juste là, debout. Mais cela me suffit.

J'ai bien conscience que mes mots peuvent me faire passer pour un fou. Mais je m'en fiche.

Ton amitié me rend fort et elle me permet d'affronter les journées les plus complexes.


Boîte aux lettres bleue d'Astéria

30 mai


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j'aime énormément ce chapitre. je me souviens avoir adoré l'écrire et il ne m'a pas paru désagréable à redécouvrir lors de la correction. j'espère qu'il vous plaît aussi.

on se retrouve dans deux semaines !

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