LETTRE V

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HUENING KAI A CHOI SOOBIN, BOÎTE AUX LETTRES BLEUE DE SEOUL


Ne dit-on pas que la curiosité est un vilain défaut ? Ne répète-t-on pas ce vieil adage à tous les enfants pour les garder silencieux le plus longtemps possible ? Je me souviens encore à la perfection de la voix froide de Maleko tonnant cette phrase alors que le jeune chérubin que j'étais s'enthousiasmait avec candeur de toutes ces choses qu'il ignorait. Je ne pose plus de questions depuis. Je trouve cependant ta curiosité attendrissante, Choi Soobin. J'ignore la raison qui me pousse à me figurer un visage enthousiaste à la simple idée de découvrir de nouvelles choses. Tu me rappelles cette personne que j'aurais tant voulu être ; celle que j'aurais été si la présence constante de Maleko ne rôdait pas derrière moi.

« Soyons amis ! »

Tes mots me surprennent. Je te croyais méfiant à l'idée de tisser la moindre relation avec un illustre inconnu. N'étais-je pas un horrible tueur en série dans ta première lettre ? Raconter ma triste existence en compagnie de l'ennuyant Maleko a suffi à briser cette carapace de scepticisme qui te protégeait ?

« Soyons amis ! »

Tu traces tes lettres avec une élégance qui contraste sans cesse avec les mots que tu utilises. Cela en devient presque amusant. Je n'en reste pas moins surpris par ta demande. Devenir ton ami me rendrait fou de joie, Choi Soobin. Nous ne nous rencontrerons jamais. C'est une certitude aussi limpide qu'une source claire. Nous ne nous rencontrerons jamais, mais je me sens étrangement proche de toi. Je ne saurais t'expliquer les raisons qui me poussent à vouloir te conter mes déboires et à désirer entendre les tiens avec tant d'ardeur.

La présence de mes sœurs n'est pas aussi intéressante que tu ne peux te l'imaginer. Elles ne cassent pas le rythme chronométré de ma vie par leur présence rayonnante ou leurs sourires malicieux. Elles restent cependant cette microscopique échappatoire dans mon quotidien. Nos relations diffèrent beaucoup en fonction des journées et de nos humeurs. Nous essayons toujours de nous retrouver à l'abri des regards sévères de Maleko. Ses yeux glaciaux pèsent parfois sur nos épaules comme un poids et nos conversations se transforment en monstre de banalité dès qu'il pénètre dans une pièce. C'est terrible que le nom de cet homme revienne encore alors que je ne souhaite que te parler de mes sœurs. Je ne sais pas vraiment par laquelle commencer tant il y a de choses à raconter.

Dans un récit chronologique, je commencerai par te narrer ma relation avec ma grande sœur. Mais je m'interroge toujours sur la façon de parler de Lea. Elle se présente souvent comme cette femme bienveillante aux sourires doux qui ne cesse jamais de nous couver du regard. Un peu comme si elle avait peur de nous voir disparaître de sa vie. Il lui arrive souvent de narrer ma naissance comme un conte épique ; cherchant dans de lointains souvenirs les émotions provoquées par ma première respiration. Tristesse, jalouse et amour se mélangent dans ses mots. Elle commente parfois mon visage de poupon et son envie de me pincer les joues tant elle me trouvait adorable. Ses réflexions ne manquent jamais de me faire grimacer. J'imagine sans difficulté la douleur dans mes joues dès qu'elle articule cette phrase. Puis elle n'a pas vraiment de souvenirs de ma naissance. Nous n'avons pas assez d'années d'écart pour qu'elle se remémore le moindre événement de cette journée. Cela ne lui empêche pas de narrer cette aventure avec de beaux mots et de grands gestes. Je la laisse faire parce que ses histoires me transportent toujours.

Lea reste cette constante bienveillante dans mon quotidien. Elle se glisse souvent dans ma chambre lorsqu'elle remarque le discret froncement contrarié de mes sourcils lorsque nous nous croisons dans les couloirs. Elle brave une dizaine de règles en se précipitant dans cette pièce une fois la nuit tombée. Rien ne pourrait l'empêcher de les enfreindre. Elle me retrouve emmailloté dans mes couettes, comme si je cherchais à me protéger de potentielles attaques, et s'assoit en tailleur sur mon lit. Nous passons des heures à discuter du monde, de nos envies et de cette liberté qui nous est interdite. Elle me décharge de ce poids constant qui pèse constamment sur mes épaules durant les quelques heures que nous passons à l'abri des regards durs de Maleko.

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