LETTRE XXI

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HUENING KAI A CHOI SOOBIN, BOÎTE AUX LETTRES BLEUE DE SEOUL



Les derniers jours m'ont offert des heures pour réfléchir. La majeure partie de mon temps s'organisait entre mon lit froid et mon bureau ordonné comme si personne ne l'utilisait jamais. Le tic-tac de la montre à gousset de Maleko parasitait chacune de mes pensées. Ta silhouette rassurante s'estompait de mon esprit pour être remplacée par celle, menaçante, de mon tuteur. Ses yeux froids restent, de jour comme de nuit, sur ma porte comme s'il craignait que je m'échappe pour rejoindre un lit qui n'est pas le mien. Le claquement régulier de sa langue contre son palet m'arrache des frissons d'effroi alors que je cherche à me plonger dans ces exercices que je connais par cœur depuis mon dixième anniversaire. Je peine de plus en plus à camoufler les spasmes qui agitent mes mains lorsque l'angoisse se répand dans mes veines comme un poison mortel.

Je ne parviens plus à retrouver sa photo dans mes poches. Est-elle tombée dans un couloir de la maison ? Me l'a-t-on volé alors que je dormais ? Je ne saurai te donner d'explication. Elle n'est simplement plus en ma possession. Ma bonne étoile disparaît avec ton sourire. Il ne me reste que le manque de ton expression concentrée et ces yeux sévères qui ne me quittent jamais plus de quelques secondes. Il a recommencé à dormir devant ma porte. J'ai surpris un fauteuil à quelques mètres du battant. Son assise en velours s'était creusée sous son poids et témoignait de sa présence. Même lorsque je m'endors au creux de mon lit, je sens son regard perçant sur moi. S'il est tant effrayé par l'idée de me savoir faire le mur, il pourrait aussi bien installer son fauteuil au pied de mon lit et guetter chacune de mes respirations.

Ses muscles se bandent dès que ma bouche s'ouvre pour articuler la moindre syllabe. Il se transforme en prédateur s'apprêtant à bondir sur sa proie. Les autres habitants de la maison me paraissent tout aussi tendus que lui. Mes sœurs perdent leur sourire lorsque je les croise et je ne reçois pas plus que quelques mots étouffés. Leurs yeux se voilent d'inquiétude. Le personnel de la maison me fuit comme si j'étais atteint d'une maladie contagieuse. Je tourne en rond dans cette maison qui m'est trop grande et ma chambre prend chaque jour un peu plus l'apparence de cette prison dorée. Je sens presque le métal froid des chaînes contre mes chevilles.

Maleko s'absente parfois. Il se fait remplacer par une femme que je n'avais jamais vue auparavant. Elle partage ses traits durs et ses yeux menaçants. Ils ont un air de famille, mais je n'ose pas lui adresser la parole pour confirmer mes doutes. Elle se poste devant la porte et elle pose sur mes épaules un regard qui dissuaderait quiconque de fuir. Ce n'est pas mon but. Je n'ai nulle part où aller.

Mon tuteur pense certainement que sa présence glace mes membres. Elle me terrifie pourtant moins que lui. Je ne cherche pas à m'enfuir ; je ne cherche plus à m'enfuir. Je me contente de m'adosser contre un mur et de regarder le paysage qui se dessine sous mes yeux à travers la fenêtre. Je voix parfaitement la boîte aux lettres depuis ma chambre. Son bleu électrique m'appelle. Je ne cesse de me demander si tu m'as adressé une lettre. Je prie pour qu'une lettre attende mon arrivée et que ton écriture maladroite se dessine sous mes yeux pétillants de joie.

Je meurs d'envie de lire tes mots. Je meurs d'envie de glisser mes doigts sur le papier et de sentir mon cœur s'accélérer alors que tu me partages des anecdotes de ta journée. Maleko a remarqué la présence de la boîte aux lettres. Sa silhouette se dessine de plus en plus souvent dans son périmètre. Il m'a vu poster une lettre. Je n'en ai aucun doute. Il pense certainement que j'échange avec un amour interdit. Il pense certainement que ce criminel vit dans le quartier. A qui pourrais-je donc parler ?

Il ne peut pas connaître ton existence.

Il ne doit surtout pas connaître ton existence.

Je ne saurai pas comment mon corps réagirait s'il apprenait nos échanges. M'effondrerais-je en sanglot ? Lèverais-je le poing ? Hurlerais-je ma haine et ma peine ? Je n'en sais rien. Je sais seulement que je refuse qu'il découvre ton existence. J'ai pourtant le sentiment qu'il est au courant de tout. Je vérifie tous les jours si la boîte où je conserve tes lettres a changé de place. Et je vérifie tous les jours l'emplacement de la clé qui garde mes secrets. Mais la photo ? Je n'ai jamais eu la force de me séparer de ta photo. Tu accompagnais mes pensées et me donnais de la force.

Il sait.

Il a la photo.

Mon esprit ne cesse de me répéter ces mots. Je t'écris cette lettre dans ce court instant de battement entre l'absence de Maleko et l'arrivée de sa remplaçante aux traits pincés. J'écris ces mots alors que sa silhouette s'approche de la boîte aux lettres. Il fulmine. Je parviens à le sentir depuis ma cellule dorée. Je devine son sourire mauvais alors qu'il fait de grands gestes à une personne de la ville. Je devine sans entendre qu'il lui ordonne de la retirer. Il acquiesce d'un mouvement simple de la tête et Maleko tourne les talons. Il rayonne. Ses yeux se portent dans ma direction. J'entrevois son sourire victorieux.

C'est donc ainsi que tout se termine ?

Nos lettres vont disparaître dans le flux de mes souvenirs. Je ne vais pas pouvoir t'exprimer mon amour. Mes sœurs décrivaient toutes les sensations que je ressens lorsque je pense à toi. Tu ne quittes jamais mes pensées, Choi Soobin. Tu es toujours là, quelque part dans mon esprit. Et tu m'apportes ce dont je fais tellement défaut.

C'est donc ainsi que tout se termine.

C'est ma dernière tentative pour t'avouer ce que je ressens pour toi.

Je t'aime, Choi Soobin.

Je t'aime et j'aurais dû te l'avouer plus tôt.

Je t'aime tellement que je souffre de ne jamais pouvoir te prendre dans mes bras.

Je t'aime tellement que je ne veux pas te dire adieu.

Mais c'est ainsi que les choses se terminent.

Je t'avoue mes sentiments alors dans une dernière tentative alors que la boîte aux lettres va certainement disparaître.

Je suis désolé pour tout.

Je t'aime plus que tu ne puisses l'imaginer.



Boîte aux lettres bleue d'Astéria

5 août 


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vous allez bien ? vous venez de lire un de mes chapitres préférés de letterbox romance et surement un des plus tristes. j'espère que vous appréciez toujours votre lecture.

on se retrouve dans deux semaines pour la suite !

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