LETTRE IX

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HUENING KAI A CHOI SOOBIN, BOÎTE AUX LETTRES BLEUE DE SEOUL


Est-il étrange d'envier les plus banales de tes journées ? Elles me paraissent particulièrement divertissantes. Tu as toujours l'air d'apprendre de nouvelles choses en compagnie de tes amis. Durant un court instant, je me suis imaginé à tes côtés. Tes mots ont dessiné ton environnement dans mon esprit et je me suis offert quelques minutes fantasmées. Je me suis imaginé les mauvaises odeurs des personnes entassées et le brouhaha de leurs diverses conversations dans le bus bondé. Je me serais adossé à une barre métallique, un livre épais à la main pour tuer le temps. Ton ami aurait reçu mon aide pour te tirer de ta lourde somnolence et nous aurions pu discuter dans le calme. Tu ne serais pas assez éveillé pour participer à notre conversation. Je possède cet avantage que tu n'as pas : je suis du matin.

Comment serions-nous si nous partagions les mêmes cours ? Nous échangerions des messes basses pour ne pas nous faire remarquer par un enseignant dont les traits prennent naturellement ceux de Maleko dans mon esprit. Je te poserais toutes ces questions sur des sujets que je ne comprends pas et tu me répondrais avec cet esprit qui est le tien. Tu pourrais même me répondre par une référence que je ne comprendrais pas vraiment. Car même si nous vivions dans le même univers, je ne m'imagine pas à ton niveau de connaissances culturelles. J'ai tant de choses à apprendre de toi, Choi Soobin. L'aventure des cours me paraît fascinante. S'asseoir sur une chaise peu confortable, écouter de nouvelles notions en prenant des notes, oublier la présence des autres étudiants tant mon cerveau se focalise sur les mots de l'enseignant.

Je n'ai aucune difficulté à t'imaginer derrière l'écran de ton ordinateur, complétant un document des informations de ton professeur. Je t'imagine même m'intimer de me taire parce que mon habitude à chuchoter à chaque mot que je tape sur mon clavier ne cesse jamais de t'agacer. Je t'offrirais un sourire penaud et je me mordrais les lèvres pour me forcer à me taire. Peine perdue. Quelques minutes me feront oublier tes réprimandes et je recommencerais à articuler presque silencieusement chacun de mes mots. J'espère que tu ne te moques pas trop de mon tic et je me demande bien quel peut bien être le tien. Je te vois bien tapoter le bureau de tes doigts pour combler les silences ou aligner parfaitement ton ordinateur portable avec le reste de tes affaires.

Penses-tu que je m'entendrais bien avec Yeonjun ? Ton meilleur ami m'accueillerait-il à bras ouverts dans votre groupe ? Échangerait-il des plaisanteries avec moi comme si j'avais toujours partagé votre quotidien ?

Tu me sembles populaire, tout particulièrement avec les vieilles dames, Choi Soobin. Ton charme les attire comme le pollen attire les abeilles. Tes discussions avec Madame Park sonnent comme un divertissement sympathique et elle te couvre de friandises comme si tu étais son propre petit-fils. Aurais-je autant de succès auprès d'elles ? J'ai moins de conversation que toi et je m'exprime de façon un peu étrange pour une personne de ton univers. Je m'en rends compte lorsque je compare nos mots. Nos phrases ne sont pas les mêmes et nous n'avons pas la même personnalité. Tu me parais plus extraverti que n'importe quelle personne de mon entourage.

Mes questionnements tombent certainement dans une mer de prières irréalisables. Jamais je n'arpenterais les rues de Séoul. Jamais je ne m'installerais à tes côtés dans un amphithéâtre. Jamais je ne parlerais avec les vieilles dames de la supérette. Mais je ne peux pas les retenir. Mon imagination me hurle de trouver un moyen de rejoindre ton monde alors que je sais que c'est une peine perdue.

J'aurais une dernière requête à te demander, Choi Soobin. Elle pourra te paraître étrange. Surtout si tu me considères encore comme un potentiel tueur en série. Mais pourrais-tu m'envoyer une photo de toi dans ta prochaine lettre ? Je sais que cette demande semble soudaine et que nous nous connaissons peu, mais j'ai envie de donner un visage au spectre qui m'accompagne dans les couloirs de la maison familiale. Pour te faire preuve de ma bonne foi, j'ai aussi glissé une photographie dans l'enveloppe. Elle représente un des rares moments heureux immortalisés par ma famille. Ce n'est pas que nous ne partageons jamais des moments heureux, mais ils sont rarement pris en photo. C'était il y a deux ou trois ans, je ne sais plus vraiment, et nous profitions du beau temps pour manger dehors. Mes parents avaient du temps libre et avaient offert une journée de repos aux tuteurs. Je n'avais donc pas la présence de Maleko dans mon dos. Cela explique surement pourquoi mon sourire me semble si détendu et mes prunelles si vivantes.

Je commence à percevoir des bruits de pas dans le couloir. Ils se rapprochent lentement mais surement de ma chambre. La démarche ne me semble pas être celle de Maleko, mais je ne veux pas prendre le risque qu'il remarque mes lettres. Il faut que je m'empresse à terminer ma lettre. Mes mots ne doivent plus ressembler à des mots désormais.

J'attends avec impatience ta prochaine lettre.

N'oublie pas d'y joindre une photographie.


Boîte aux lettres bleue d'Astéria

14 avril


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on retrouve un style de narration plus classique avec ce chapitre. et je l'aime beaucoup. j'aime beaucoup les personnages de letterbox romance et j'espère qu'ils vous plaisent aussi.

on se retrouve dans deux semaines !

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