LETTRE VII

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CHOI SOOBIN A HUENING KAI, BOÎTE AUX LETTRES BLEUE D'ASTERIA


Ta plume transforme les journées les plus ennuyantes en de véritables aventures dans un immense manoir. Les grandes histoires commencent parfois par un quotidien lambda. Tu pourrais même affirmer la présence d'une armoire menant à un autre monde dans une pièce vide que je ne serais pas surpris. Tu y rencontrerais créatures surnaturelles, animaux parlants et forces maléfiques. Tu te perdrais sur des terres qui s'étendent à perte de vue. Et tu observerais ce soleil bleu si singulier qui éclaire ton monde se refléter et se déformer sur un lac. Rien de tout cela ne me surprendrait, car j'ignore tout de ton univers. J'en ignorais même la couleur du Soleil. La froideur que tu me décris me fascine. Je ne connais que cet astre dont les couleurs passent d'un jaune proche du blanc à un orange tirant vers le carmin.

Mon imagination n'arrive pas à construire ton univers. Je me retrouve devant une toile vierge et tu me décris un paysage que je ne verrai jamais. La sensation est étrange. J'en viens même à me demander à quoi peuvent bien ressembler les êtres humains chez toi. Je me doute que cette question revête une complexité immense. Ils doivent certainement partager les mêmes caractéristiques que tous les autres : deux yeux, deux bras, deux jambes, un nez, une bouche... Je pourrais énumérer toutes ces choses que partagent la majorité des êtres humains de mon monde, mais je me transformerais en une personne bien ennuyante. Et je refuse de te rappeler les monologues interminables de Maleko.

Mais je peux te parler de Madame Kim !

Madame Kim est une vieille femme qui habite mon quartier. Derrière son dos vouté par les années à travailler penché sur un bureau et son visage ridé par les années, on devine facilement la belle femme qu'elle a été à une époque. Ses yeux reflètent ses émotions avec une franchise à couper le souffle et son sourire s'étend jusqu'à ses oreilles lorsqu'elle s'esclaffe. Elle passe souvent chez son coiffeur pour faire ses affreuses permanentes que les vieilles dames aiment tant. J'aurais tant aimé la rencontrer dans sa jeunesse pour savoir si ses cheveux ondulaient autour de son visage ou s'ils tombaient sur ses épaules comme une pluie fine. Sa voix éraillée reste chantante et j'aime l'entendre lorsqu'elle pousse les portes de la supérette dans laquelle je travaille. Madame Kim m'offre toujours un de ces sourires dont elle seule a le secret et elle me glisse quelques biscuits secs dans ma main en arrivant à la caisse. Elle articule souvent une plaisanterie qui parvient à me faire sourire à chaque fois et elle me répète que je ressemble comme deux gouttes d'eau à son petit-fils ; son petit-fils qu'elle aimerait croiser plus souvent, mais qui lui rend rarement visite.

Comme tu peux le deviner, j'apprécie énormément la présence de Madame Kim. Elle m'offre une bouffée de fraicheur lors des journées les plus ennuyantes ; lors des journées si ennuyantes que tu regretterais presque la présence de Maleko dans ton quotidien si tu devais les subir. Je t'en raconterai une. J'attends la journée parfaite pour te conter tout cela.

Je ne peux t'affirmer qu'une seule chose : il ne se passera rien d'intéressant dans mes mots. Mais les anecdotes que des amis partagent ne viennent-elles pas des moments les plus ordinaires ?

Comment s'est passée ta journée de solitude en dehors de ton envie de danser dans une roseraie et de m'envoyer une lettre ? As-tu pu prendre un peu de temps pour toi ? As-tu pris un long bain chaud pour détendre tes muscles tendus par les heures en présence de ton tuteur ? Me savoir comme la goutte de hasard vase plein de normalité me rend autant fou de joie que cela m'inquiète. C'est un beau compliment à me faire, mais je ne peux pas m'empêcher de penser à ta solitude.

Puis tu as tes sœurs. Elles aussi sont une source de hasard dans ta vie. Un hasard moins surprenant, mais un hasard tout de même. Leurs réactions et leurs mots te restent imprévisibles.

Je pourrais encore écrire pendant des heures pour ne rien dire, mais je commence à manquer d'idées. On se retrouve pour une journée banale dans la vie de Choi Soobin.

En espérant que celle-ci se produise avant ta prochaine réponse.


Boîte aux lettres bleue de Séoul

20 mars


PS — Ne t'inquiète pas pour ton écriture. Elle est très lisible. 


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le format de lettres me force à écrire des chapitres plus courts. mais je crois que j'aime bien tout ça. j'apprends à être succincte. j'espère que vous avez apprécié votre lecture.

on se retrouve dans deux semaines !

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