20- Théodore

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Je resserre ma prise sur les poignées de ma moto et un grondement sourd s'échappe du moteur comme un présage. Le ciel au-dessus de Boston est d'un noir menaçant, mirant l'orage qui gronde dans mon cœur. Les rues, d'habitude si familières et accueillantes, semblent aujourd'hui se dresser contre moi. Chaque virage, chaque feu rouge alimentent l'incendie de la colère qui s'embrase au creux de mon estomac.

Le casque enfoncé sur ma tête emprisonne les pensées qui circulent à grande vitesse, ne laissant bientôt plus aucune place pour le reste. Chaque écho rebondit contre les parois de mon esprit, me rappelant sans cesse la source de mon irritation. Pourquoi cette soirée a dégénéré aussi rapidement ? Pourquoi ce changement de comportement si soudain ?

Les questions martèlent mon crâne au rythme des pulsations de mon cœur, en synchronie parfaite avec le rugissement de la moto. À chaque accélération, je tente de distancer la frustration, mais la colère est toujours présente, s'accrochant à moi avec l'acharnement d'une ombre. L'agitation qui règne dans mon cœur croît de manière exponentielle, se calquant comme le parfait miroir des bâtiments qui défilent à toute vitesse sur ma route, et agrémentant un feu dangereux qui menace d'exploser et de tout brûler. Les gens autour de moi ne sont que des silhouettes floues et insignifiantes, incapables de comprendre ou même de calmer la peine qui m'habite.

En slalomant entre les voitures, je mets ma vie en jeu. Je fais tapis sur mon avenir pour une infime minute, mais c'est bien la seule où je me sens libre ce soir.

Tu te mens à toi-même crétin. Le baiser t'a donné un souffle de liberté avant qu'elle ne te coupe les ailes.

J'essaye de faire taire mes pensées. Pourtant, à chaque arrêt, à chaque ralentissement, la réalité me rattrape, et avec elle, un cortège d'amertume et de questions sans réponses.

Les bâtiments de briques rouges, les parcs, les passerelles au-dessus de la Charles River, tout ce qui faisait le charme de Boston me semble maintenant teinté d'une nuance sombre. La beauté de la ville est éclipsée par cette rage. Enfin, la maison qui abrite la colocation se dessine devant moi.

Les soirées généralement organisées par les équipes sportives universitaires sont un mélange vibrant d'excitation, de liberté et de découvertes, un rite de passage presque incontournable. La façade est éclairée par des guirlandes multicolores qui projettent une lueur accueillante sur les groupes d'étudiants qui convergent vers le lieu. Dès l'entrée, je suis accueilli par une vague de musique. Un mélange éclectique qui oscille entre les derniers hits pop, le hip-hop vibratoire, et des classiques du rock qui semblent traverser les générations sans prendre une ride. Les murs vibrent au rythme de la basse, et le sol semble presque bouger sous les pas des danseurs. Mais je n'ai pas la tête à ça et me dirige d'un pas décidé vers les escaliers. Je suis très vite arrêté par des étudiants qui ont pris l'escalier pour un lieu de perdition.

Non mais j'hallucine.

Je change donc d'option pour me diriger vers la cuisine, qui quant à elle, s'est improvisée en bar, où les étudiants se transforment en mixologues d'un soir, expérimentant avec les boissons disponibles pour créer des concoctions aussi uniques qu'improbables. Les éclats de rire fusent lorsque les résultats de ces expériences gustatives sont partagés. Moi, je préfère y aller direct et me sers un verre de vodka pure.

Il faut soigner le mal par le mal comme on dit.

Le liquide brûle directement ma gorge, mais il procure une sensation de bien-être et de liberté, nettoyant les maux de mon cœur en quelques secondes. Je n'hésite pas avant de reprendre un verre de cette magie liquide.

Dans un coin plus calme, des canapés accueillent ceux qui cherchent à s'échapper momentanément de l'effervescence. Ici, des conversations plus intimes prennent place, des liens se renforcent autour de sujets plus personnels, et parfois, des amitiés de longue date se scellent. Pour ma part, je reste comme un con à fixer le mur. J'ignore en premier lieu la présence de la personne à mes côtés, mais m'oblige à lever la tête quand je reçois une tape sur l'épaule.

AmnésieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant