[Ève, sous demande du doyen, tu es convoquée avec Théodore Hardmann. Rendez-vous à 10h dans le bureau du coach Mitchell. Ne sois pas en retard.]
Après l'envoi du message, je me suis empressée de contacter Théodore. Même si ce mec est insupportable, imbu de lui-même, et un chieur de première catégorie, son regard émeraude et sa voix ont un effet apaisant sur moi et je ne sais comment l'expliquer.
Alors, j'ai ce besoin incompréhensible de savoir s'il a reçu le message.
Lorsque je l'ai croisée à l'hôpital, je ne savais plus où me mettre, comme prise en flagrant délit de trafic de drogue, je me suis donc empressée de mentir. C'était idiot de ma part, car je sortais du bureau de sa mère après mon arrivée aux urgences. Lui, il était là, avec ses cheveux bruns désordonnés, le regard perdu, et cet éternel sourire de séducteur.
Garde les pieds sur terre, ce mec-là est comme les autres.
Assise sur mon lit, je regarde la bibliothèque qui me fait face. Des livres d'Histoire, de littérature classique et de romance remplissent cet espace. La lecture est mon purgatoire, du moins, elle l'est devenue récemment. Je me devais de reconstruire cet imaginaire perdu, les sœurs Brontë, Shakespeare ou encore Victor Hugo sont devenus au fil des mois mes thérapeutes, les seules personnes capables de comprendre ma peine.
Je clos pendant quelques instants mes paupières et l'image de ma mère apparaît dans mon esprit. Je la vois sur cette chaise en bois présente sur le petit balcon de notre appartement parisien, un livre à la main, son châle sur les épaules et ses longs cheveux bruns flottent au vent. Sereine, douce, elle me contait alors les histoires du Petit Prince.
Elle me manque terriblement.
Un souffle de tristesse sort de ma poitrine, je me lève et décide enfin de rejoindre le campus pour ce fameux rendez-vous. J'ai bien évidemment demandé à mon jumeau s'il avait reçu un message similaire de son coach, mais rien. Je sais c'est bête, mais à Stanford, c'était monnaie courante de convoquer des binômes sportifs pour je ne sais quelle raison et toutes les équipes étaient conviées.
9h30
À dix minutes du campus, mes écouteurs sifflent des chansons françaises au gré des rues de la ville que j'arpente pour la première fois. Boston, fondée en 1630, a forgé sa réputation lors de la Révolution américaine. Aujourd'hui, cette ville dénote des autres. Elle a gardé ses édifices datant de l'époque coloniale, les routes donnent un accès plus favorable aux habitants et aux cyclistes. Son jardin public permet aux citadins d'avoir un moment de répit. Alors que je contemple le paysage qui m'entoure, j'arrive rapidement devant le panneau de Boston College, mes pas me guidant naturellement vers la patinoire.
9h50
Il est préférable d'être en avance. Je décide donc de m'installer contre la porte et sors un livre de mon sac, Le Rouge et le Noir de Stendhal. Une histoire remplie de sujets intéressants avec un fond de romance. Surligneur en main, le bouchon dans la bouche, je m'apprête à annoter cette magnifique phrase:
"Dis lui que je t'aime, mais non, ne prononce pas un tel blasphème, dis-lui que je t'adore, que la vie n'a commencé pour moi que le jour où je t'ai vu, que dans les moments les plus fous de ma jeunesse, je n'avais jamais même rêvé le bonheur que je te dois ; que je t'ai sacrifié ma vie, que je te sacrifie mon âme. Tu sais que je te sacrifie bien plus" quand je suis interrompue par un raclement de gorge.
C'est horrible comme bruit!
— Sérieux, petite ballerine? Le rouge et le noir, c'est d'un ennui.
VOUS LISEZ
Amnésie
RomansaFuir, respirer, vivre. À des kilomètres de son ancienne vie, Ève Grey tente de se reconstruire avec l'aide de ses frères. Mais, comment fuir ce passé qui la brise encore aujourd'hui. Comment vivre lorsque son coeur menace de lâcher à tout moment...