Chapitre 1 : La famille Pullin emménage

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« —Mamaaaaan ! Je mets où le carton de mes peluches ?

—Attend Chacha, je vais te le monter dans ta chambre.

—Chérie, où tu as mis le cutter ?

—Je ne sais pas, je n'y ai pas touché.

—'man, tu te rappelles c'est dans quel carton qu'on a mis mes écouteurs ?

—Non, c'est toi qui as fait tes cartons toute seule. »

La charge mentale illustrée en quelques phrases, banal lors d'un déménagement. Magali Pullin en était épuisée. Femme au foyer depuis la naissance de Théo, leur dernier enfant à Sébastien et elle, elle était plus fatiguée depuis qu'elle avait adopté ce style de vie que lorsqu'elle travaillait tout en assurant l'entretien de la maison en binôme avec une femme de ménage, ainsi que l'éducation de leurs deux grandes filles, partagée avec une nounou.

La famille Pullin était en train d'emménager dans une charmante maison typiquement Normande avec ses poutres en bois et son toit en ardoise à l'image du toit de chaume qu'il remplaçait. Fils unique, les parents de Sébastien lui avaient légué cette magnifique demeure lorsqu'ils apprirent l'arrivée prochaine du bébé qui sera plus tard nommé Théo. Sébastien avait d'abord refusé, mais il se rendit compte que ses parents retraités commençaient à peiner à entretenir l'immense propriété. C'est ainsi que, deux ans plus tard, ils avaient finalement consenti à quitter leur luxueux appartement pour venir s'installer à la campagne, contre l'avis de Magali qui était, selon elle, née pour être une citadine.

Cette maison, les parents de Sébastien l'avaient eux-mêmes héritée des parents de monsieur Pullin. Il y était né et y avait grandi avant de l'intégrer à son tour lorsque ses parents furent trop vieux pour s'occuper du demi-hectare de jardin qui entourait la demeure, ainsi que les nombreuses pièces qui la constituaient. C'était le seul enfant de la grande fratrie qui avait accepté de récupérer la vieille bicoque tombant en ruine. Sauf qu'une fois entièrement retapée, ses frères et sœurs firent savoir leur indignation quant au fait qu'ils se sentaient dépouillés de la maison familiale. Depuis, les relations étaient tendues entre eux.

Des amis et de la famille étaient venus en renfort, mais jamais assez nombreux par rapport à la tâche à accomplir. Sentant son amie au bord de l'implosion, Laurine se chargea d'accompagner la petite Charlotte afin d'aménager sa chambre avec ses peluches et autres jouets plus ou moins encombrants.

« —Magali, il faudra que tu nettoies à fond ta cuisine avant de t'en servir. Elle est horriblement poussiéreuse.

—Oui maman, j'ai vu. Mais tu sais, Sébastien aussi peut le faire.

—Sébastien travaille, lui, il faut qu'il se ménage. »

Magali ne répondit rien à sa mère. Elle se contenta de lui tourner le dos puis de lever les yeux au ciel. Le fait de conserver une activité professionnelle devait le dispenser de toute activité ménagère, selon sa mère. C'était injuste. C'est décidé, quand Théo ira à l'école à la rentrée prochaine, elle reprendra un travail. N'importe quoi, pourvu qu'elle ne soit plus la bonne à tout faire dans sa maison.

« —Vous êtes sûrs que vous voulez garder cet horrible buffet ?

—Oui Anne, j'en suis sûre. Et il est très bien ce buffet.

—Il ne va pas avec le reste de la déco, trop vintage. J'insiste, tu ferais mieux de l'envoyer à la déchetterie.

—D'accord Anne, j'y réfléchirai. »

Voulant à tout prix éviter le moindre esclandre, Magali ne tint pas tête à la cousine de son mari. Anne et Philipe, la cousine de Sébastien et son époux, formaient un couple de bourgeois hautains. Magali, qui était une femme relativement simple, se demandait pourquoi ils continuaient à les fréquenter alors qu'ils passaient leur temps à les critiquer.

« Vous vous fiancez déjà ? Ça fait seulement trois ans que vous vous connaissez, c'est trop rapide mon cousin, elle va te plumer, j'en suis sûre. » ; « Vous allez faire votre voyage de noces en Angleterre ? Mais faites-vous rêver un peu, partez plutôt dans les îles. » ; « Vous achetez un appartement ? Mais c'est une maison qu'il vous faut ! Surtout avec le bébé à venir, il voudra d'un grand jardin. » ; « Tu te rends compte, trois enfants ! C'est pas sérieux ma belle, pas dans la société dans laquelle on vit. En plus à ton âge, il risque de développer des troubles psychologiques et autres malformations. Nous on a fait le choix d'avoir un enfant unique, et je pense que c'est le meilleur choix à faire ». Voici ainsi un petit échantillon des mots doux qu'Anne et son mari avaient pu leur dire tout au long de leur relation.

*PAF*

Le vase artisanal entièrement peint à la main que Magali et Sébastien avaient ramené du marché de Dongtai Lu à Shanghai. Leur plus beau voyage, un circuit inoubliable. Et ce magnifique vase était maintenant étalé sur le sol en milliers de morceaux.

Encore une fois très diplomate, Magali respira un grand coup par le nez et se contenta de dire à l'adresse des adolescents qui erraient dans le salon sans faire attention aux objets qui les entouraient :

« —Mathilde, emmène tout le monde dans ta chambre et installez-la plutôt que de casser toute notre déco. »

Honteuse de la situation, Mathilde, l'adolescente complexée et ultra timide, baissa la tête en rougissant et acquiesçant. Voyant que ce n'était pas le moment de négocier, les trois autres adolescents la suivirent sans piper un mot. Il y avait Eugénie, la fille de Laurine, Nadia, la meilleure amie de Mathilde, et Célestin, le fils d'Anne et Philipe, et assassin du magnifique vase de Magali.

La journée continua ainsi. Elle fut longue et éprouvante. Heureusement pour la famille Pullin, il n'y eut pas beaucoup de casse. En plus du vase chinois, un assortiment de petites tasses à thé et leurs soucoupes décorées d'une très fine dorure, ainsi qu'une commode Ikea furent détruits. Ça aurait pu être bien pire, tenta de relativiser Magali en pensant à sa magnifique statue achetée à la Galerie Antenna de Dakar, leur voyage humanitaire familial, le premier voyage de Mathilde.

Anne ne manqua pas de critiquer la qualité des pizzas qu'ils s'étaient faits livrer le soir avant de repartir avec son mari et leur fils Célestin, l'adolescent le moins dégourdi qu'il a été donné à Magali de rencontrer. Ils furent les derniers à partir, au grand désespoir de la maîtresse de maison qui profitait de la présence des autres personnes pour éviter de se retrouver seule avec eux.

La journée avait été longue. La famille Pullin au grand complet s'endormit rapidement dans des lits avec des draps mis sommairement, sans prendre le soin de les assortir. Ils n'étaient pas au bout de leurs peines. Au-delà du fait qu'ils avaient un nombre considérable de cartons, cabas et compagnie à vider et ranger, ainsi que des meubles à monter, des travaux s'avéraient nécessaires dans cette vieille demeure pourtant déjà rénovée, mais pas à leur goût. Et ce n'était pas encore le pire qui les attendait.

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