Chapitre 10 : Le rapport du médecin légiste

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C'est en toute fin de journée, au moment où les détectives s'apprêtaient à rentrer chez eux, que la secrétaire de l'unité de médecine légale de Jouville les appela pour leur dire que le rapport était prêt. Excités à l'idée d'en apprendre davantage sur le mystérieux cadavre, les détectives s'y rendirent en vitesse. C'est François Rieur, le chef de service en personne, qui les reçut.

« —Nous n'en recevons pas souvent des macchabés dans cet état, commença le médecin légiste tout en conduisant les détectives à son bureau dans lequel ils s'installèrent pour échanger. »

Comme il n'y avait que deux chaises, seules Djamila et Maggie s'assirent. Ewen et Béthanie restèrent debout, à côté, appuyés sur le mur ou contre le bureau de François Rieur.

« —Notre cadavre est une femme, commença le légiste. Elle devait avoir entre 18 et 23 ans au moment de sa mort il y a 20-25 ans. Vu l'état du cadavre, je préfère me laisser une marge de 5 ans. Nous aurons plus de précisions grâce à des analyses complémentaires que j'ai demandées. Mais ça prendra du temps car votre enquête n'est pas prioritaire.

« Je disais donc que nous avons affaire à une femme d'une petite vingtaine d'années. Elle n'était visiblement pas très grande, nous l'estimons à 1m50, 55 grand maximum. Brune, le teint légèrement hâlé, je lui prête même des origines hispaniques, mais pour ça aussi il faudra attendre les résultats des analyses complémentaires pour pouvoir l'affirmer. Nous savons qu'elle a été tuée par strangulation, sûrement à mains nues puisque nous n'avons pas retrouvé de fibres de textile dans son cou. Bien que ces dernières aient pu disparaître avec le temps.

« Elle portait encore ses vêtements. Une jupe très courte de tennis, un col-roulé sans manches, une veste en jean très ample, des grandes chaussettes de sport et une paire de baskets fines. Elle portait encore ses boucles d'oreilles en or et une fine chaînette, elle aussi en or, autour du cou avec un pendentif à l'effigie de la Vierge. On peut donc affirmer qu'elle n'a pas été tuée pour être dépouillé de ses richesses.

« Nous n'avons pas retrouvé de sac à main ni de papiers pouvant l'identifier. Bastien a passé un temps considérable à éplucher le fichier des personnes portées disparues mais il n'a trouvé aucune correspondance avec notre cadavre. Il semblerait que cette jeune femme ait été quelqu'un de très seule, sans pour autant être une marginale au vu de sa tenue et ses bijoux. Vous avez des pistes de votre côté ?

—Pas pour le moment, lui répondit Béthanie. Nous attendions votre rapport avec impatience car la famille Pullin n'a absolument aucune idée concernant son identité. Personne ne semble avoir disparu dans leur entourage. Et sans pouvoir leur donner de date, ce n'est pas évident pour faire ressurgir les souvenirs.

—Eh bien maintenant vous avez de la matière. Si vous avez le moindre nom qui ressort, faites-moi signe.

—Nous n'y manquerons pas.

—Bien. Je vais vous laisser, ma journée est à présent terminée. Et la vôtre aussi j'imagine. Maggie, si tu veux voir ton frère, il est encore là. Sur ce, passez une excellente soirée. »

Les détectives quittèrent le bureau du légiste et se rendirent à celui de Bastien, le frère de Maggie. Ils s'y engouffrèrent après avoir été invités à entrer. Bastien, le sosie masculin de Maggie, les reçut avec un immense sourire. Ils échangèrent quelques banalités avant que chacun ne rentre chez soi, sauf Bastien qui venait d'être invité par sa petite sœur.

Même s'il n'avait pas été prévenu de sa visite, Alex était ravi d'avoir son beau-frère à dîner. Si au départ, l'idée que Maggie puisse avoir un frère alors qu'elle se croyait orpheline de toute famille était étrange, maintenant, leurs relations étaient excellentes.

« —Donc vous enquêtez sur le meurtre d'une jeune femme tuée il y a plus de 20 ans ? s'intéressa Alex.

—C'est ça, lui répondit Maggie. En plus, on ne sait encore rien de son identité.

—Personne ne l'a recherchée pendant tout ce temps ?

—À priori, non.

—Et ça ne vous déprime pas de travailler avec la mort qui flotte autour de vous en permanence ?

—C'est une vocation, dit simplement Bastien. »

Alex haussa les épaules et retourna surveiller son plat qui cuisait tranquillement dans le four.

Contrairement à Maggie, Bastien Annisterre-Brévis avait eu la chance d'être adopté sitôt après le décès de leurs parents. Décès qui restait un mystère pour les deux orphelins. Aucune trace de cet événement dans aucun de leurs dossiers, disparus eux aussi à leur majorité. Impossible de remettre la main dessus. Erreur humaine qu'ils disaient à l'ASE.

S'ils en parlaient peu, c'est parce que Bastien souffrait de ne pas connaître ses racines, lui qui passait ses journées à redonner une identité à des cadavres. De son côté, Maggie ne savait pas si elle voulait savoir ou non. Parfois, elle se demandait si elle n'avait pas accepté ce travail de détective dans le seul et unique but de retrouver un jour ses parents. Et s'ils étaient finalement encore en vie ? Alors, elle leur demanderait « pourquoi ? ». Pourquoi les avoir abandonnés ? Pourquoi son frère avait été adoptable et pas elle ? Pourquoi ils avaient été incapables de les aimer ?

L'enfant dont personne ne voulait. L'enfant difficile, qui avait sa place nulle part. D'abord en pouponnière, puis une première famille d'accueil. Un décès, retour en pouponnière. Une deuxième famille d'accueil. Un départ en retraite, retour en foyer. Une troisième famille d'accueil, un arrêt maladie, une quatrième famille d'accueil. Finalement, après un dernier retour en foyer, Maggie a droit à une dernière chance et intègre une cinquième famille d'accueil. Et ce sera la bonne.

Elle a été choyée, elle a fait partie intégrante de la famille, sans différenciation avec les enfants biologiques. Sa mère d'accueil, ou « Tantine » comme elle l'appelait, avait été patiente. Elle l'avait ramassée à la petite cuillère et avait supporté ses troubles du comportement soudainement apparus à l'adolescence. À ses 18 ans, elle ne l'avait pas laissée tombée comme c'est le cas pour la quasi-totalité des enfants de l'ASE. Elle l'avait gardée sous son aile.

Brillante élève, Maggie avait obtenu une bourse au mérite afin de réaliser ses études. Parallèlement à sa fac de sociologie, Tantine lui avait appris à coudre. Maggie avait des doigts de fée et une inspiration sans limites. Une fois sa licence en poche, elle avait tout laissé tomber pour intégrer une boutique de robes de mariées et autres tenues de soirée. La suite, on la connaît.

Maggie continuait à entretenir des relations cordiales avec Tantine et les autres, mais elle avait l'impression de ne plus faire partie de la famille. Pourtant, l'un des fils de Tantine est le meilleur ami d'Alex et ils se voient régulièrement. C'est d'ailleurs grâce à lui que les deux tourtereaux se sont rencontrés. Maintenant, elle le considère de moins en moins comme son frère. Surtout depuis qu'elle avait retrouvé son frère biologique, Bastien.

« —Maggie ? l'appela Alex en lui passant sa main devant les yeux pour la faire revenir dans le monde réel.

—Oui ?

—Je te demandais si tu voulais que je te resserve un verre ?

—Non merci, je me lève tôt demain, je ne voudrais pas qu'on se couche trop tard non plus.

—Une grosse journée d'interrogatoires t'attend encore ? lui demanda Bastien.

—Je crois que oui, en espérant enfin pouvoir mettre un nom sur notre cadavre grâce à l'autopsie de François Rieur. »

L'héritageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant