Chapitre 2 : Des travaux dans la maison

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La famille Pullin avait emménagé dans l'ancienne chaumière depuis deux mois déjà. Les cartons étaient presque tous déballés, les autres étaient stockés dans la cave.

La maison possédait une très grande cave. Outre une pièce servant de cave à vin, le reste du sous-sol était particulièrement mal rangé. Si Magali mettait toute son énergie à garder les étages propres et rangés, elle avait décrété ne pas s'occuper du sous-sol. L'ancienne secrétaire médicale savait poser ses limites.

Elle savait aussi que Sébastien ne s'en occuperait jamais. À moins d'une urgence, il remettrait toujours à plus tard. Trop absorbé par son travail, cet architecte préférait embellir les maisons des autres plutôt que la sienne. Il laissait cette tâche à sa femme. Il mettait un point d'honneur à ce qu'elle se sente bien chez elle. La bonne excuse.

Il ne se rendait pas compte que leur maison, qu'importe ce à quoi elle pouvait bien ressembler, Magali n'en pouvait plus d'y rester cloitrée. Alors qu'il pensait offrir la belle vie à sa femme en lui donnant tout ce qu'elle pouvait désirer, à commencer par trois beaux enfants qu'il aimait par-dessus tout, il n'arrivait pas à la voir malheureuse.

Mathilde, 14 ans, était en classe de 3ème. Brillante élève, elle subissait la pression de l'orientation précoce. Elle ne savait pas encore vers quel métier se diriger plus tard. Sa professeure principale lui avait fait prendre un nombre considérable de rendez-vous avec le conseiller d'orientation. Il ne fallait pas qu'une si bonne élève fiche en l'air son avenir à cause de son indécision.

Mathilde savait quand même qu'elle voulait aller en seconde générale puis se diriger vers une voie littéraire. Mais ses professeurs et son père n'étaient pas de cet avis. Mathilde était une excellente élève, toutes matières confondues, y compris l'EPS. Mathilde devait donc suivre une filière scientifique. Les élites allaient forcément là-bas.

Magali, plus moderne et plus ouverte d'esprit, comprenait et encourageait sa fille. Si elle voulait faire carrière dans un univers plus littéraire que scientifique, alors pourquoi l'en empêcher ? Pour la rendre encore plus timide et plus renfermée qu'elle ne l'était déjà ? Si s'opposer à son mari était chose aisée, s'opposer à l'Éducation Nationale était plus compliqué.

Leur seconde fille, Charlotte, 4 ans, était la petite princesse à son papa. Ils avaient mis 7 ans pour l'avoir. 7 ans d'errance médicale à entendre qu'ils ne trouvaient rien de particulier, qu'en y pensant moins, ils y arriveraient. Ils avaient bien eu Mathilde, et très rapidement, pourquoi ça ne fonctionnerait pas une seconde fois ?

Sébastien avait compensé cette envie de paternité impossible à combler en travaillant plus encore. Magali, quant à elle, était passée par une profonde phase de dépression qui l'avait empêchée de travailler pendant une année entière. Elle se disait que c'était sûrement suite à cette période de son existence qu'elle détestait sa vie actuelle au foyer. Ensuite, grâce à un très bon accompagnement psychologique et psychiatrique, et une grande détermination, elle avait repris le chemin du travail. Le petit miracle était finalement arrivé naturellement après avoir mis en échec tout un parcours de PMA.

Pourrie gâtée par son papa, Charlotte était une petite fille à qui il était difficile de mettre des limites. Quand Magali faisait preuve d'autorité, Sébastien venait toujours la contredire. Et cela inquiétait Magali. Que deviendrait sa fille si son père passait son temps à tout lui céder ? Et que peuvent en penser ses autres enfants ? Sébastien avait été très sévère dans l'éduction de Mathilde et il ne lui laissait rien passer en ce qui concernait l'école.

Théo, quant à lui, était encore petit. Il n'avait que 2 ans. Arrivé par surprise alors que les médecins avaient diagnostiqué une ménopause très précoce à Magali juste après sa grossesse, elle n'avait pas repris de contraception. Grosse erreur. Alors qu'elle se sentait barbouillée depuis plusieurs semaines avec des bouffées de chaleurs et autres joyeusetés qu'elle liait à la ménopause, elle avait finalement forcé son gynécologue à lui faire une échographie quand elle a commencé à se sentir trop serrée dans ses pantalons au niveau de la ceinture. Et elle avait bien fait, elle était enceinte de 5 mois. Et ce sera un petit garçon.

Le petit prince de Sébastien, celui qui reprendra l'affaire familiale. Le fils qu'il n'attendait plus. Et avec qui il prenait le même chemin que pour Charlotte. Le mot « non » était le mot maudit. Sauf pour Mathilde. Et ça, ça faisait grandement souffrir Magali qui se revoyait dans sa fille. L'aînée de la famille qui doit montrer l'exemple, un exemple bien trop sévère. Et si elle avait le malheur d'essayer de raisonner son mari, s'ensuivait une terrible dispute à laquelle elle mettait fin le plus vite possible, n'ayant plus la force de se battre.

Alors qu'elle était dans ses pensées, à faire le point sur sa vie, Magali fut propulsée dans le présent par son mari qui tentait de réparer une canalisation qui avait rouillée et qui inondait le sol de la cuisine :

« —Merde !

—Qu'est-ce qui t'arrive encore Séb ? demanda-t-elle, cachant son agacement vis-à-vis de cette fuite qui n'était visiblement pas prête d'être réparée.

—Apporte-moi des torchons s'il te plaît. Ce tuyau est complètement foutu, il va falloir refaire toute la canalisation de la cuisine. Et je te parle de la cuisine, mais je n'ai pas encore sondé le reste de la tuyauterie. Ça ne m'étonnerait même pas que ce soit partout comme ça. »

Docilement, Magali apporta des vieux torchons à son mari. Il essuya sommairement une grosse flaque d'eau avant de se relever, manquant de se cogner au plan de travail.

« —Je descends à la cave voir comment ça se passe en-dessous, annonça-t-il. Je n'ai pas envie de tout inonder et devoir jeter tout le bordel qu'on stocke là-dessous. »

Sur ces mots, il disparut par l'une des portes de la cuisine, celle qui menait au sous-sol. Au bout d'une dizaine de minutes, il remonta et interpella sa femme qui s'était réinstallée sur la table de la cuisine pour faire des mots-fléchés :

« —Est-ce que tu peux venir m'aider s'il te plaît ? Il y a un bordel sans nom en bas, je n'arrive pas à atteindre la canalisation mais je crois qu'elle fuit aussi. »

Magali posa son porte-mine et alla rejoindre son mari qui était déjà redescendu dans la cave. En bas, il régnait une atmosphère étouffante avec les piles de vieux objets et cartons qui s'y trouvaient.

Le couple débarrassait la cave depuis une heure déjà sans trop avancer quand Magali trébucha sur un petit marchepied qu'elle n'avait pas vu. Elle voulut se rattraper sur un gros baril bleu ciel et poussiéreux, fermé hermétiquement mais il bascula et tomba avec elle, s'ouvrant d'un coup et déversant son contenu sur le sol fraîchement désencombré. En même temps, une odeur absolument écœurante – et le mot était faible – envahit la cave close.

Entre deux haut-le-cœur, Magali s'approcha du baril qui était présent bien avant eux dans la maison, ainsi que de son contenu. Au milieu des billes d'argile prévues pour les plantes, elle eut du mal à y distinguer l'objet difforme qui s'y trouvait. Mais à présent elle en était certaine, il s'agissait bien d'un cadavre momifié depuis de nombreuses années.

L'héritageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant