Draconistes

XXVIII. L'équilibre

Asthar

Quand je rejoins Asthar, je comprends qu'il est encore en plein doute.

Ce petit humain a beaucoup à accepter, et lui, qui pensait jusque-là avoir acquis tous les savoirs du monde, est en train de réaliser que son savoir n'est qu'une goutte d'eau, en réalité.

C'est difficile de lui ôter ses préjugés de la tête. Je savais que les érudits et les magiciens ne s'aimaient pas, en bas. Le savoir contre la magie, l'éternel affrontement stupide.

Mais c'est la seule chose qu'Asthar connaissait vraiment. C'est bien normal qu'il se sente ébranlé, maintenant qu'il doit apprendre la magie.

Je savais qu'il réagirait très vite avec le test de l'eau. Il a un potentiel de magie tellement incroyable que mes ailes en frissonnent. Mais c'est normal. Il a ça dans le sang.

Je lui en parlerai un autre jour. Il n'est pas prêt.

Il écrit assidument ses notes dans son carnet de cuir. C'est le troisième que je le vois noircir en se noircissant les doigts d'encre. D'une certaine manière, il m'impressionne. Il dessine des plans et des croquis, et a dessiné de mémoire Japnar et et Galor avec une telle fidélité qu'on penserait qu'il a dessiné leurs portraits toute sa jeune vie. Moi aussi, je suis dans ses croquis, et j'aime bien. Je me sens flatté dans ses croquis.

Je m'installe sur la table, sur une pile de livres qu'on lui a permis d'étudier ici.

— Qu'est-ce qui te tracasse encore, gamin ?

Il lève les yeux. Ils sont cernés comme pas possible. Il a noué ses cheveux en arrière pour qu'ils cessent de lui tomber devant les yeux. Ses yeux noisette me laissaient percevoir un mélange d'émotions que je ne lui connaissais pas.

— Je suis... ignorant, finit-il par dire après un long silence.

Je m'en doutais. C'est bien normal qu'il pense ainsi. Mais jusqu'à quel point a-t-il pris conscience de son ignorance ?

— Sur quel sujet ? lui demandé-je.

— Sur la magie. Mais peut-être bien sur tout. Je n'en suis pas sûr.

Il comprend les choses rapidement. Cela n'empêche pas la frustration et la colère qu'il peut y avoir en lui.

— Que veux-tu savoir exactement ?

— Je crois que j'ai compris l'infime magie qui se trouve dans chaque chose. C'est tellement insignifiant, mais tellement courant, que personne ne se rend compte de rien. Cependant, une chose que je ne comprends pas, c'est pourquoi cette perception disparait quand on est repus. Maintenant je ne suis pas affamé ou assoiffé, pourquoi je ne ressens plus rien ?

— Ça, petit, c'est l'équilibre. C'était ta prochaine leçon, mais on dirait qu'il vaut mieux qu'on en parle maintenant. La magie est énergie. Elle ne vient pas de nulle part, et on ne la prend pas n'importe comment. Il s'avère que le monde est plutôt bien fait. Chacun a l'équilibre des énergies en lui, qui consomme pour vivre, et qu'il récupère en s'alimentant. C'est à la fois biologique et magique. Le corps humain n'a besoin que de ça pour être en équilibre. Un magicien a cette balance en lui aussi. C'est parfaitement naturel. Sauf que les plateaux de cette balance sont bien plus grands.

Ses yeux brillent de curiosité. J'ai toute son attention. Alors je continue ma leçon.

— N'importe qui peut utiliser la magie, mais les magiciens innés ont un peu grand potentiel d'utilisation. Tu peux utiliser plus d'énergie, et en consommer plus aussi. Ce qui fait que ça peut déborder des limites physiques de ton corps. Et quand tu sauras canaliser ta magie en sorts, tu devras compenser son utilisation pour rétablir l'équilibre.

— En mangeant ?

— C'est l'un des moyens les plus courants. Mais pas que. Il peut y avoir le transfert d'énergie magique, qu'on appelle couramment le mana. Il peut y avoir les potions, ou encore le sommeil. Sache que, si tu dépasses les limites, ton corps s'arrêtera pour se rétablir. Tu tomberas dans les pommes, quoi. Jusqu'à ce que l'équilibre revienne dans ton corps, assez pour te réveiller. Rappelle-toi que la base, c'est juste un corps parfaitement rassasié. Et ça, c'est le minimum pour un magicien.

— Et toutes les magies fonctionnent de cette façon ?

— Presque. Cependant, celles qui défient l'équilibre coûtent bien plus chers. Elles peuvent égratigner ta raison, ton âme, ton corps.

— Le magicien qui a fait naître les Miasques...

— C'était une époque hantés par d'Anciens Dragons. Oui, il a utilisé une magie puissante qui a rompu l'équilibre.

— Comment s'appelait-il ?

Je soupire. C'est un nom honni, un nom qu'on ne prononce plus.

Un nom que nous avons fait exprès de perdre à travers les âges.

— Pourquoi le demandes-tu au passé ?

Asthar écarquille tellement les yeux qu'ils vont sortir de leur orbite.

— Il est... vivant ?

— Je suppose que ce qui ne peut mourir est par défaut vivant. Asthar, ce n'est pas le moment de t'intéresser à tout cela. Tu as bien d'autres choses dont tu dois te préoccuper. Et tu as un rapport à rédiger, en plus de ton début d'apprentissage de magicien. Les menaces du Monde, tu t'en soucieras plus tard. Médite sur la balance de l'équilibre. Et dans les prochains jours, tu vas aller réellement rencontrer et parler aux Draconistes. Une semaine que tu es là, et tu ne t'es fait aucun ami ! Tu y mets de la mauvaise volonté !

Je le vois se renfrogner. A cet instant, on voit sa jeunesse plus que jamais. Il n'a sans aucun doute pas eu l'habitude de réellement côtoyer les gens.

Se fendant d'un profond soupir, il finit par lâcher quelques mots.

— Puisqu'il le faut.