VI. Rencontre

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Asthar


Cela fait des jours qu'elle me fait courir. Je cours, je cours mais je n'apprends pas grand chose. Et cela me ronge ! Elle me fait miroiter un monde plus vaste et beau dans ses yeux d'émeraude, je me surprends à rêver d'horizons inconnus à cause d'elle, et maintenant elle est plus fermée qu'une porte de prison ! J'en ai ras les chausses!

Cependant, je n'oublie pas non plus ce que j'ai entrevu, lorsqu'elle m'a laissé seul, à terre, le premier jour. Elle a disparu derrière un arbre, et c'est bien l'ombre d'une aile de dragon que j'ai vu passer au loin.

Je suis certain que c'est son dragon. Elle a l'air si proche de ces créatures! Personne n'a l'air si fasciné par eux. 

Je suis persuadé que si Aëna pouvait abandonner sa peau humaine, elle le ferait sans aucun remord.

Je me remémore ce que je sais des dragons. Les Anciens Dragons étaient des créatures féroces et cruels, intelligents et pernicieux. Rien ne les attiraient plus que l'or et les pierres précieuses. Ils ont ravagé des cités entières pour récupérer les trésors des hommes. Les humains ont alors commencé à s'organiser pour les abattre, développant des techniques de combat et de magie combinés pour y arriver. 

Puis, les Draconistes sont arrivés. Ils ont réussi à mater les Dragons et à les dominer, et depuis, on les appelle pour protéger les royaumes et apaiser les guerres quand celles-ci prennent trop d'ampleur et risquent de tuer trop d'hommes.

Dans d'autres livres, il est dit que toute créature domestiquée s'affaiblit. On dit donc que les Dragons des Draconistes sont plus petits que leurs ancêtres, plus chétifs et faiblards. En fait, personne ne voit plus trop de dragons. On sait ils sont, mais les Draconistes les gardent jalousement. Il paraît qu'en fait, la race s'éteint et que même les Draconistes ne sont plus nombreux.

Mais je suis le premier à avoir le droit d'être ici depuis la création des Draconistes. 

Je n'ai pas encore le droit de voir leur village. Mes supérieurs m'ont dit que je devais recenser les Draconistes, vérifier la réalité des racontars et, car il est toujours évident qu'ils sont les soldats les plus forts de tous les royaumes, où vont leur loyauté.

Les Draconistes sont des gens plutôt sereins, de ce que je découvre ici. Ils sont forts, comme des soldats se doivent de l'être. Les Dragons sont là et volent, puisque j'ai vu une ombre l'autre jour. Aëna m'a clairement dit que leur village là-haut était une société dont ils sont fiers, donc l'avant-garde n'est bien qu'une avant-garde.

Au final, je ne sais absolument rien de nouveau. Génial, ça fait une semaine que je ne sers à rien.

"Aëna, quand est-ce que je pourrais voir un dragon ?
- Quand tu pourras monter au village, dit-elle platement pendant notre pause déjeuner, assez loin du camp.
- Quand me laisseras-tu aller au village ?
- Jamais.
- Pourquoi ne veux-tu pas que je monte au village?
- Parce que tu n'en es pas digne. Tu ne comprendrais pas notre mode de vie.
- Pourquoi je ne comprendrais pas ?
- Parce que tu viens d'en-bas.
- En quoi ça fait de moi un sous-homme incapable de comprendre quoi que ce soit ?
- Parce que tu crois que tu sais, mais tu ignores beaucoup de choses.
- Et à ton avis, pourquoi je les ignore ?
- Parce que tu n'es pas un Draconiste.
- Oh non, m'impatienté-je. Ce n'est pas parce que je ne suis pas un des vôtres. C'est uniquement parce que tu ne me dis rien. Je ne sais pas quelle mouche te pique, mais on apprend uniquement quand quelqu'un, ou même quelque chose, est apte à nous apprendre. Et tu sais quoi, Aëna Rouge-Crépuscule ? Tu n'es absolument pas du tout apte à enseigner quoi que ce soit. De tous les Draconistes, tu es sûrement la plus renfermée, la plus têtue et la plus aigrie de tous ! Tu as quoi, mon âge, sinon à peine plus ? Tu n'es qu'adolescente en crise qui se retrouve avec moi sur le dos et qui fait un gros caprice !"

Encore une fois, j'ai perdu mon sang-froid. Mais Aëna m'agace vraiment. J'en ai assez de courir, assez de son mutisme, et de son entêtement à croire que je ne suis qu'un incapable. De dépendre totalement d'elle. Elle est peut-être d'une beauté fascinante, toute rose n'est qu'une plante.

Mais elle, elle ne parait même pas perturbée, surprise, agressé ou même moqueuse. Elle reste encore et toujours identique à elle-même. J'ai envie de lui hurler dessus. Mais le plus terrible, c'est de savoir que, quand bien même cela m'aurait défoulé, elle resterait statique.

 Et même si je voulais la gifler, elle me briserait certainement le poignet. Je finis par donner un coup de pied à un arbre.

"Peut-être qu'ils ont raison, "en bas", comme vous dites. Peut-être que si personne ne voit de dragons de près, c'est parce que vous en avez fait des dégénérés qui s'éteindront d'ici le siècle prochain ! C'est pour ça que vous les cachez, n'est-ce pas ? "

Je sens un regard furieux se poser contre moi. Enfin, une réponse émotive ? Je me tourne vers elle afin de voir Aëna autrement que placide, mais c'est un tout autre regard qui est devant moi.

Un regard aux pupilles fendus, reptilien. Du même émeraude que la belle Draconiste, mais bien plus terrifiant. Immense, d'un rouge sombre aux écailles scintillantes, le dragon est couronné de cornes affûtées tout en diamants, aussi brillantes que les étoiles

Par les Dieux, il est magnifique ! 

Oh, comme j'ai peur, devant lui !

Je n'ai pas seulement offensé Aëna, mais son dragon.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais sûr qu'il était son dragon.

Une voix s'insinue dans ma tête, grave et profonde. Une voix clairement inhumaine. 

La voix du dragon.

" N'insulte jamais les Dragons à portée de notre ouïe, humain. Nous entendons très loin, sache-le.
- Je m'excuse, dis-je à voix haute. Tout ce que je voulais, c'était apprendre de vous."

Je ne voulais pas accuser Aëna de faire mur, car cela n'est pas digne de renier ses responsabilités. Et malgré toute la terreur que m'inspire le dragon en cet instant, je suis complètement fasciné par lui. Je veux tout apprendre de lui, des siens. A commencer par son nom, cela me suffirait déjà amplement.

J'ai comme l'impression que le dragon se met à sourire.

" Je m'appelle Japnar. Écoute Aëna. Les montagnes sont si hautes que tu pourrais en mourir. Mais je vais t'envoyer un des nôtres pour compenser ce qu'Aëna ne peut t'offrir. N'oublie pas, Asthar de Minthe: c'est elle qui aura la décision. "

Je m'incline respectueusement devant lui, et Aëna grimpe sur son dos. Japnar s'envole alors d'une impulsion et je me retrouve seul à nouveau.

C'était magnifique.

J'ai rencontré un dragon. Un magnifique Dragon. Et il n'est ni chétif ni dégénéré ! Il est majestueux intelligent ! 

Oh, mais... 

Il peut aussi lire dans les esprits ???

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