Aëna
Il crache ses poumons alors qu'il n'a pas couru deux kilomètres.
Mon mépris pour ceux d'en bas ne fait que grandir quand je vois cet empoté aux yeux larmoyants comme une biche à cramer incapable de contrôler son souffle.
Je ne comprends vraiment pas ce qu'il fait là. Tout ceux que je connais sont Draconistes, certes, mais sont tous des hommes et des femmes grands et forts, endurants et solides. Nous sommes fiers, et respectueux du monde qui nous entoure, comme les Dragons nous l'ont enseigné.
La faiblesse est quelque chose qui nous est inconnu.
Qui m'est inconnu.
On est fort et puissant, ou on ne l'est pas.
Lui n'a rien à faire là. Un érudit d'en bas a le nez dans ses livres et ne découvre le monde que par les mots et non par ses yeux. Je trouve ça triste. Lire est bien, certes. Le savoir est bon et la transmission de la connaissance est essentielle pour qu'un peuple avance dans le droit chemin sans reproduire les erreurs de son passé. Mais pourquoi oublier de vivre en se clamant au service du savoir? Ce n'est pas en décrivant l'arc-en-ciel à un aveugle qu'il saura réellement à quoi il ressemble.
Je fais signe au scribouilleur de s'arrêter. Ce n'est pas en le tuant qu'il sera utile pour quoi que ce soit. Il se laisse alors tomber sur les herbes hautes du bord de chemin, et je lui tends une outre afin qu'il puisse s'hydrater. Je le lâche alors des yeux pour scruter le ciel.
Japnar me manque. Mon frère dragon n'est plus à mes côtés depuis que j'ai dû quitter notre village pour l'avant-garde. Cependant, Japnar est aussi sentimental que moi. Nous avons toujours été aux côtés l'un de l'autre, depuis notre naissance.
Il viendra, à un moment où un autre, quand le gamin aura échoué à monter la montagne.
"Est-ce que je peux poser une question ?"
Asthar arrive à peine à parler. J'ai hésité entre lui dire de reprendre l'exercice, puisqu'il peut encore parler. Mais je décide plutôt de me taire.
Il est quand même là pour savoir, alors je devais entendre ses questions. Et peser chaque réponse que je donne, selon Sandor, mon père.
"Je t'écoute.
- Ton père, Sandor Ventvif, a dit que tu étais une Aînée. Qu'est-ce que c'est, exactement, pour les Draconistes ? "Je réfléchis à ma réponse. Je ne pense pas qu'il soit prêt à tout entendre, encore. Je décide alors de répondre le plus juste et succinctement possible.
" Tous les Aînés qui naissent dans les familles Draconistes reçoivent une éducation différente, beaucoup plus dure que les autres, qui en font l'élite des Draconistes. Tous les autres sont des Puînés.
- Et pourquoi ne pas éduquer tout le monde pareil? Comme les Aînés ou comme les Puînés ?
- Parce que les Puînés sont déjà dangereux. Nous ne sommes pas une armée mais un peuple. Les Aînés, eux, sont le corps d'élite de protection des Draconistes. Ainsi, nous sommes utiles aux Couronnes et nous pouvons les combattre sans jamais se retrouver esclave d'en bas.
- Pourquoi tu n'aimes pas ceux d'en bas ?
- Parce que vous ne connaissez rien, et vous complaisez dans un jeu de guerre interminable au lieu de vous préoccuper de choses réelles.
- Comme quoi ?
- Tu ne sais vraiment rien, scribouilleur ! Dans vos rues, vous avez des pauvres, des miséreux, des classes et des rangs. Vous vous dissociez les uns des autres constamment. Mais personne ne se préoccupe du bien-être commun. Tu ne verras aucun pauvre, aucun affamé chez nous. Nous bâtissons les maisons pour les gens qui perdent la leur. Nous nourrissons tous le monde sans compter les efforts pour cultiver et récolter nos aliments. Nous mettons tous nos mains dans la boue pour sauver quelqu'un dans le besoin. "Le toit et le pain, ta voix et ta main." C'est la base. Peux-tu en dire autant de ta cité ? "J'ai vu le malaise se dessiner sur le visage du jeune érudit. Doute-t-il de notre mode de vie ? Ou voit-il sa société différemment? A moins qu'il ne soit trop fatigué pour répondre. Mais je ressens le besoin de le rassurer un peu.
Il est jeune, après tout.
"Ta cité n'est pas la pire, Tohrin Mar est une ville qui a des qualités. Mais j'ai vu d'autres peuples plus cruels, des peuples esclavagistes, des peuples qui nous croient démons par obscurantisme. Tu as au moins le mérite de ne pas te cacher derrière un dieu pour refuser d'apprendre. Nous respectons cela de ta part."
Son visage trempé de sueur ne put s'empêcher de réprimer un sourire. Il est fier de sa cité. Je comprends qu'il a cette ambition, que le jeune âge permet encore de mêler à un rêve personnel, de rendre Tohrin Mar meilleure, pour la faire resplendir à travers le monde. C'est bien.
" Tu ne pourras pas en faire plus aujourd'hui. Il faut habituer ton corps progressivement. Nous courrons demain. Tu es libre pour la journée de te reposer et parler aux autres, si tu en as l'énergie."
Je le quitte enfin. Nous ne sommes pas loin du campement, il pourra le voir quand il se relèvera. Et je cours loin, car j'ai vu une ombre atterrir.
Et je le chevauche avant de voler ensemble.
Mon cher Japnar.

VOUS LISEZ
Draconistes
FantasiLes Dragons, fiers et féroces, ne ploient l'échine devant personne. Les Draconistes, pourtant, les chevauchent. ***** Quand Asthar, le plus jeune érudit de Tohrin Mar, est envoyé en mission pour rencontrer et étudier les Draconistes, il ne se doute...