XVI. Le fils

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"Grand-père! Grand-mère ! Regardez, Père arrive!"

Le jeune homme aux cheveux d'un noir de jais avaient ses yeux vermillon qui pétillaient. Il était grand et bien bâti, la peau dorée de ceux qui travaillent dans les champs, mais le corps couvert de cicatrices multiples dont lui-même ignoraient la raison. 

Yugo vivait dans la grande ferme de ses grands-parents. Cela faisait plus de cinq ans maintenant qu'il était arrivé, son père l'y ayant déposé pour qu'il puisse se remettre de ces fameuses blessures. De ce qu'il lui avait expliqué, il avait été attaqué par des brigands pendant qu'il était en forêt. Cela ne lui rappelait absolument rien, mais hormis son père, il n'avait plus aucun souvenir de sa vie d'avant. Et ça lui convenait. 

La vie de ferme lui plaisait. Il aimait travailler dans les champs, remuer la terre, soigner les bêtes, et vendre les produits aux villages alentour était une vie difficile, mais épanouissante. 

Les deux vieillards souriaient à la vue de de leur petit-enfant si joyeux et impatient. Depuis qu'il vivait avec eux, il était toujours ainsi, vivant, enthousiaste et tendre. Comme il était une force de la nature, ils n'avaient plus grand chose à faire à la ferme, et ils étaient heureux qu'il soit présent pour embellir leur quotidien.

"Donc, ton père arrive, n'est-ce pas? dit le grand-père de sa voix éraillée, l'air bienveillant dans son vieux fauteuil. C'est bien. D'où l'as-tu vu ?

- J'ai reconnu sa silhouette grise entrer dans le bois au pied de notre colline. Il devrait arriver dans une heure, je pense. C'est amusant, il vient rarement à cheval, et là, il en a deux! 

- Regarde-toi, tu trépignes d'impatience! rit la grand-mère, Va, mon petit, va le rejoindre. et ramène-le ici. Je vais commencer à préparer le souper.

- C'est tôt pour se mettre à la cuisine, non? dit Yugo surpris.

- Certes, mais c'est jour de fête, aujourd'hui. Et vous serez long à rentrer, comme d'habitude. Alors vas-y! Il n'est pas revenu depuis des mois. "

N'y tenant plus, le jeune homme partit en courant, laissant le vieux couple en tête à tête. Tendrement, ils se sourirent. Mais la lueur dans leurs yeux était bien plus triste qu'ils ne l'auraient voulu.

"Il est venu le chercher, soupira la grand-mère.

- Nous savions que ce jour allait arriver. Yugo ne peut rester caché éternellement. Cela n'a jamais été son destin d'être garçon de ferme. 

- Je le sais bien. Mais mon vieux coeur ne supporte l'idée que cet enfant si doux s'en aille. J'ai tellement peur pour lui! Et nous sommes bien trop vieux pour lutter à ses côtés aujourd'hui."

- Nous lui avons ouvert notre maison et nos coeurs, ma chérie. Ainsi, il aura toujours le souvenir chaleureux de son foyer. Et cela, ce n'est pas rien. Car tu sais bien qu'avant, il n'avait rien."

Le vieil homme rejoignit sa femme, l'enlaçant tendrement, alors des larmes se faufilaient le long de ses joues usées par temps.

"Nous veillerons sur son âme depuis l'autre monde."

Charon était littéralement noyé sous le flot de paroles de Yugo. Le jeune homme, enthousiaste, lui raconté tout ce qu'il avait vécu depuis leur séparation, il y a de nombreux mois de cela.

"...Et j'ai même aidé à accoucher une fille du village. Suzie, tu sais, la fille du charpentier qui a épousé son apprenti ! Elle a perdu les eaux dans le pré, elle ne pouvait plus se déplacer ! Grand-mère était la plus proche pour l'aider, et j'ai fait ce que j'ai pu... mais on se sent inutile dans ces cas-là! J'étais impressionné, tu sais ! Les femmes sont les forces de la nature, à mes yeux, donner la vie est une véritable magie qui mérite le respect !

- C'est étonnant cette attirance que tu as pour la vie. C'est vrai que tu aides souvent le médecin du village, et le pharmacien! remarqua Charon.

- J'aurais vraiment aimé devenir médecin, approuva Yugo, mais je t'ai promis de t'accompagner, et je sais combien la parole est importante.

- J'aurais aimé te laisser vivre la vie que tu souhaites, mon fils, mais tu dois faire un métier où tu voyages et où tu peux utiliser tes armes. Être chasseur de primes est un bon métier, et cela te permettra de découvrir du pays en rendant service aux gens.

- Je n'apprécie pas vraiment l'idée d'être "chasseur", mais je serais ravi d'aller n'importe où avec toi! Et peut-être que cela m'aidera à retrouver mes souvenirs..., soupira le jeune homme.

- Tu ne te souviens toujours de rien ? demanda le guerrier.

- Non, rien depuis mon réveil après l'attaque des brigands, répondit le garçon. Mais ce n'est pas grave. Je vous ai, vous, et mes grand-parents aussi. Cela me suffit, car je suis extrêmement heureux aujourd'hui !

- Ton optimisme m'impressionne!"

Charon observait le jeune homme. Son fils. Il repensait encore à ce jour fatidique où, couvert de blessures et de bandages, il était venu ici, chez ses propres parents, leur déposer Yugo. Les longs cheveux noirs découpés à la lame de l'épée, ses plaies pansées à la va-vite. Ses vêtements déchirés et souillés de boue et de sang. Il n'était qu'un très jeune adolescent alors, et pourtant, il avait lutté de toutes ses forces. 

L'amnésie n'était pas une mauvaise chose chez lui. Au contraire, cela l'avait simplement libéré, et lui avait permis de recommencer une vie plus paisible. Il aurait voulu qu'il puisse continuer à vivre en paix, ainsi, car il avait déjà tellement vécu de choses dans sa courte vie qu'il méritait bien cette tranquillité. 

Mais les dieux n'en avaient pas décidé ainsi. 

DraconistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant