Quatre. ✷ Home is calling.

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Juin 2022, Albanie. ✷ KRISTJAN.

Hier, à 10h43, la Terre s'était arrêtée de tourner. Hier, Henrik a annoncé quelque chose à son frère. Hier, cette voix qui lui a raconté tant d'histoires étant plus jeune est devenue celle qui lui a demandé pardon. Hier, Henrik s'est excusé pour leur passé, et lui a presque supplié de venir chez-lui pour leur futur ; futur rien qu'à eux. Hier, il s'est empressé de prendre le premier vol pour Elbasan. Pourquoi ? Belina est mourante. Mourante. Cela semble impossible. Irréel et monté de toutes pièces. Mais c'est la vérité. Belina est courtisée par Azraël et la veuve serait vraisemblablement intéressée par lui.

⸺ C'est Maman. ( Qu'il avait dit. )

⸺ J'arrive. ( Qu'il avait répondu. )

⸺ Pardon, Kris. ( Qu'il avait dit. )

⸺ C'est rien. ( Qu'il avait répondu, sans même savoir pour quoi son frère s'excusait. Le passé ? Le présent ? Le futur ? Kristjan en a rien à faire. Le brun veut juste retrouver sa famille. )

Aujourd'hui, à 10h43, la Terre semble petit à petit se remettre en route. Les oiseaux chantent de nouveau puis les yeux de Belina sont ouverts. C'est une victoire. Chaque jour le sera. Puisque le docteur l'a dit : ils sont comptés. Et Kristjan pense à cela. À la mort de son père ; et peut-être celle de sa mère. Et celle de Gabriele, même si c'est plutôt son rôle à elle. Et Henrik. Et Veline. Et Palmira. Et... ( La liste est longue. C'est déjà ça ? Il se demande s'ils le placent également dans leur longue liste noire ou s'il ne mérite pas cette place. ) Puis Kristjan pense à l'appel de hier, et aux excuses d'Henrik. Il avait l'air sincère mais depuis qu'il a posé les pieds sur le sol albanais, il se demande s'il n'a pas imaginé cette conversation.

Là, avachi sur le canapé usé du salon, Kristjan regarde son frère nettoyer le sol carrelé de la maison. Serpillère et aspirateur s'activent depuis ce matin.

⸺ Tu pourrais pas m'aider ?

⸺ Parce que maintenant tu veux de mon aide ?

⸺ Tu peux pas faire semblant d'être aimable ? Pense à ta mère, Kristjan.

⸺ Ne mêle pas Maman à ça.

⸺ T'es vraiment un gamin.

⸺ Et t'es tellement un adulte. Tu me diras, faire semblant c'est facile pour toi, hein ?

Et Henrik jure. C'est pas le moment de parler de ça, qu'il dit. C'est jamais le moment avec toi, que Kristjan répond. Henrik se déplace devant le vaisselier et entame un dépoussiérage des jolies assiettes exposées dans la vitrine. Son tee-shirt est de la même couleur que le bois dans lequel le meuble est taillé.

⸺ T'en as pas marre ? Toujours à te morfondre, à pleurnicher comme un enfant. Maman a besoin de toi.

⸺ Moi aussi j'ai besoin d'elle. C'est peut-être pas ton cas, j'en sais rien.

Et il hausse les épaules ; nonchalant ! Ses genoux sont désormais rapatriés vers sa poitrine, frôlant le débardeur sans manches ( un marcel donc ! ) que Gabriele portait elle-même hier, dans son lit. Hier. Kristjan a l'impression que ça fait une éternité qu'il ne l'a pas vu. L'impression qu'il est bloqué dans ce petit espace temps étrange où personne n'est vraiment en vie. Est-ce une putain de simulation ? ( Secrètement, Kristjan espère que oui. Qu'il va tranquillement se réveiller dans le lit à baldaquin qu'il partage avec Gabriele, lové contre elle et que ce cauchemar sera clôturé par une embrassade matinale prolongée sous une douche brûlante ; dans tout les sens du terme. Malheureusement, Kristjan se trompe. Comme souvent. )

✷ Smoke Signals.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant