37. Si j'avais su

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BETH


Je rouvrais les yeux. J'avais l'impression d'être passé dans une machine à laver à haute vitesse. Tout se passait lentement et surtout, tout avait l'air de tourbillonner. Je tournais la tête à la recherche d'une source de lumière, mais rien. Tout était noir. Une panique sans nom monta alors et je me remis à ressentir cette douleur atroce. Je poussai un hurlement sans nom. Quand la vue me revint peu à peu. Je voulais juste mourir, repartir. C'était invivable d'être dans cet état. Je ne savais pas quand tout allait se terminer. Je ne savais pas ce qui allait se passer par la suite. J'étais juste là dans mon propre sang, naviguant entre la conscience et l'inconscience avec des douleurs inimaginables et surtout sans espoir d'apaisement.

Je n'allais pas faire semblant de croire encore que j'allais pouvoir être sauvé. Je savais très bien que j'avais perdu trop de sang. Je savais très bien que s'il y avait des secours, ils chercheraient d'abord dans l'auditorium avant de venir regarder à l'infirmerie. En résumé, j'attendais simplement de mourir... Cependant..., j'avais comme une sorte de soulagement. Au fond, je savais que j'allais mourir, mais je savais que j'avais pu aider. J'avais parlé avec Alicia. Si elle m'avait cru, elle allait venir sauver tout le monde et c'est ça qui me permettait d'être en paix : savoir que j'avais fait du bien et que je n'avais pas craqué.

Je baissais les yeux vers ma plaie, je ne savais même plus dire si elle saignait encore tellement il y avait de sang. Je restais allongé là, essayant de calmer ma respiration. Quand le téléphone se remit à sonner. Je tournai ma tête lentement vers le petit objet qui était encore dans mes mains, et l'attirait vers mon oreille.

Je voulais que ce soit une bonne nouvelle, quelqu'un qui me dise que j'étais en plein cauchemar que tout se terminait. Je voulais que ce soit ma mère, l'entendre me dire que tout allait bien se passer et que tout allait bien se terminer. Je voulais entendre, quelqu'un me dire quelque chose de positif, mais non ! J'étais là, toute seule dans cette pièce de merde, en train de mourir seule.

On pouvait dire que j'exagérais, on pouvait dire qu'on souhaitait être à ma place et mourir pour ne pas avoir les traumatismes que cet évènement allait avoir sur nos vies, mais je pouvais certifier avec assurance qu'attendre, la mort n'était vraiment pas drôle.

-Tu es là Bethany ?

J'avais l'impression que je n'arrivais pas à me maintenir éveillée. Un petit « oui » sorti de ma bouche.

- Dépêche-toi de tout me redire

Sa voix était encore une fois ferme, j'avais le sentiment qu'elle me détestait encore et je voulais vraiment me faire pardonner d'avoir fait à Alicia ce que j'avais fait, j'avais été aveuglé par mes propres intérêts, j'avais été une enfant et j'avais juste perdu ma meilleure amie.

- Les autres t'écoutent, redis-moi en détail ce qu'il se passe

Je soupirais, une grimace au visage.

- S'il vous plaît... Sauvez-moi. Je ne veux pas mourir. S'il vous plaît

Je REFUSAIS de mourir.

- Je suis à l'infirmerie, ne m'oubliez pas

Il était là le fond des problèmes de Bethany : j'avais peur qu'on m'oublie, voilà pourquoi j'avais fait cette vidéo de ma meilleure amie. Je voulais tellement être aimée par la majorité que j'avais décidée de la vendre et en avais fait un ragot national.

- Noah...

Une toux à l'odeur ferreuse m'échappa.

- Noah est venu ce matin, en pleine réunion avec les profs et... il a tiré sur tout le monde. Tout le monde est mort. Il est venu avec un but en tête : tous nous tuer, je vous en supplie, sauvez-moi

- On va t'aider, je te jure. On va appeler les secours ne bouge pas

Je sentis des affaires remuer derrière le fil. J'étais enfin soulagée, ils me croyaient enfin.

- On va t'aider... répéta Alicia.

Le ton de sa voix avait changé, elle m'avait l'air d'être au bord des larmes. Sa voix tremblait, je ne la reconnaissais pas. En tout cas, je reconnaissais mon ancienne amie, pas la personne qui me détestait (à juste titre), pas celle qui ne voulait plus entendre parler de moi, la Alicia que j'avais toujours connu.

Ça me rassurait dans le fait que je n'allais pas mourir, en étant encore haï par ma meilleure amie, je voulais simplement la voir, et savoir qu'elle était au courant de tout, me faisais tant de bien. Une autre toux agressive me traversa, avant de vite se calmer, je ne savais pas pourquoi je toussais autant, mais je savais qu'à un moment, j'allais recracher du sang. Mon corps était d'ailleurs bien plus généreux que prévu. J'étais censée déjà être morte.

- J'arrive, je viens te chercher

Au début, je crus halluciner en entendant cette phrase. Ça devait encore être moi qui imaginais que quelqu'un sorti de nulle part vienne m'aider. Mais, en fait, c'était bien la voix d'Alicia. Alicia qui me disait qu'elle allait venir m'aider, Alicia qui me disait qu'elle allait se mettre en danger. Alicia qui me disait qu'elle choisissait de mourir comme tous les élèves de cet établissement. Le peu d'énergie qu'il me restait me fit alors articuler :

- Non, tu ne peux pas faire ça, c'est hors de question. Il va te tuer, il va tous nous tuer, tu ne vas pas venir ici

- Tu crois vraiment que je vais te laisser là-bas, c'est impossible, imagine que... c'est la dernière fois, imagine que c'est la fin. Non, je ne peux pas rester ici les bras croisés pendant que ma meilleure amie est en train de mourir

Elle m'avait l'air complètement désarçonner. Elle parlait dans tous les sens. Sa voix montait dans les graves, puis dans les aigus. J'étais triste, triste de la voir aussi paniquée, et totalement perdue. Triste de n'avoir aucune solution.

- Non, c'est impossible, je refuse que tu viennes,

Je ne pouvais pas accepter le fait que ma meilleure amie se déplace. Qu'ils viennent ici, un endroit où tout le monde avait pour destin de mourir. Je ne voulais pas que ça arrive, j'avais réussi à peut-être sauver tout le monde, je ne pouvais pas être la cause de la mort d'une autre personne, ça me donnerait le sentiment de n'avoir rien fait .

- Appelle simplement la police, je t'en supplie

J'éloignais alors le téléphone de mon oreille, mais le gardais dans la main. Il me suffit de quelques secondes puis, je me remis à pleurer de plus belle. Voilà comment la vie était pour moi : elle était nulle.

J'avais passé mon temps à me concentrer sur le fait de plaire aux autres, d'être la meilleure, de vouloir m'intégrer dans un groupe qui ne voulait pas de moi pour qu'à la fin, cette fameuse vie soit si courte. Elle était nulle, car je n'avais pas prévu de mourir lors d'une putain de fusillade. Par-dessus le marché, j'étais bête dans mes relations, car ma meilleure amie, celle qui avait en fait réellement toujours voulu de moi dans sa vie, m'aimait au point de vouloir se sacrifier pour moi, voilà à quel point j'étais débile, il ne me restait que très peu de temps et celui que j'avais eu de ma naissance jusqu'à hier, je l'avais gaspillé à être une autre personne.

Si j'avais su... Si j'avais su, j'aurais vécu autrement.

Si j'avais su, j'aurais été moi-même.

Targets [ DRAME ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant