Chapitre I - Chocolat chaud

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Kim était seule dans l'appartement. Elle n'avait plus envie de sortir. Assise devant sa fenêtre les genoux ramenés contre sa poitrine, ses cheveux étaient remontés en un chignon décoiffé dont seule une mèche caressait sa nuque. Elle tenait entre ses mains une tasse fumante de chocolat chaud qu'elle huma en contemplant le ciel gris sale et l'eau qui ruisselait le long des vitres.

Il pleuvait sans cesse depuis ce matin. Le grondement du tonnerre et les clapotis des gouttes d'eau sur le parterre du balcon résonnaient dans sa tête.

« Quel temps ennuyeux. », lâcha-t-elle dans un profond soupir avant d'avaler une gorgée de sa boisson.

Un frisson parcouru son corps, elle détestait ce temps.

Elle ne pouvait détacher son regard de la vitre qui devenait peu à peu embuée par son souffle. Alors, d'un coup de manche, elle essuya le carreau.

Posé non loin d'elle, son téléphone portable vibra pour signaler un appel. Elle reconnut de loin la photo du contact entrant affichée sur l'écran. Elle se leva nonchalamment pour décrocher. Elle prit le téléphone dans une main et un hologramme du contact en question apparut au-dessus de l'écran tactile.

- Mia ?

- Salut Kim ! Tu viens toujours ce soir ?

- Où ça ?

- Chez Milo ! Tu n'as pas oublié que c'est son anniversaire quand même ?

Merde !

- Ah oui... Euh non, bien sûr que non, soupira-t-elle en observant le ciel toujours menaçant.

- Ça ne va pas ?

- Juste un coup de fatigue, ne t'inquiète pas.

- D'accord... N'oublie pas de te faire belle ! s'exclama son amie.

- Oui, promis.

Elle ne voulait pas aller à cette fête. Elle savait qu'il allait y être et elle ne voulait pas le revoir. Pas maintenant, c'était trop tôt. À chaque fois qu'elle pensait à lui, une vague de souvenirs douloureux mêlés à des moments de bonheur l'envahissait. Elle ne souhaitait pas revoir son visage même s'il resterait gravé à jamais dans sa mémoire.

Dan.

Ce nom résonnait dans sa tête et elle ne pouvait pas s'en débarrasser.

Elle tourna en rond en s'enroulant nerveusement une mèche de cheveux autour de son doigt et en réfléchissant à une solution. Devait-elle inventer une excuse bidon par peur de le revoir ? Devait-elle y aller à contrecœur ? Cependant elle ne voulait pas faire de peine à Mia et Milo.

« Bon, je n'ai plus qu'à acheter quelque chose pour Milo... », soupira-t-elle

Elle se dirigea vers la salle de bains et s'observa dans le miroir. Elle faisait peur à voir : des cernes révélaient son manque de sommeil et son visage, devenu pâle, indiquait qu'elle n'avait plus vu le soleil depuis plusieurs jours. Elle se rinça le visage à l'eau froide et relâcha son chignon. Ses cheveux tombaient sur ses épaules et arrivaient jusqu'à sa poitrine et sa frange était devenue beaucoup trop longue à son goût.

Kim n'était pas très grande, un mètre soixante tout au plus, comme sa mère. Elle avait des yeux amande et son visage était parsemé de timides taches de rousseur qu'elle avait hérité de son père. Ses parents s'étaient connus dans un pays qu'on appelait autrefois « France » mais ils avaient dû le quitter pour venir s'installer dans le pays originaire de sa mère : le Japon.

D'après ce que les rumeurs racontaient, le Japon d'aujourd'hui ne ressemblait plus du tout au « Japon d'autrefois ». Avec les avancées technologiques, plus rien ne semblait comme avant. Il y a quelques années, une soi-disante catastrophe naturelle avait dévastée une partie des Etats-Unis et l'Europe allait ensuite être la prochaine victime. Une poignée de rescapés américains et des européens (notamment des français) ont donc immigré vers le Japon et d'autres pays alentours car ils ne se sentaient plus en sécurité.

Le Japon avait connu un pic de mortalité important dans le pays et il avait alors ouvert ses portes afin d'aider à la repopulation. Cependant, étant le pays le plus sécurisé du monde, toute famille n'ayant pas au moins un membre de nationalité  japonaise, non seulement se voyait d'être inspectée et mise « à l'écart » dans un quartier spécifique mais aussi devait payer une taxe. C'est pour cela que seules les familles relativement aisées ont pu s'installer.

Seulement, après cet épisode, le Japon redevint aussi fermé qu'avant et tout contact extérieur de voyait refusé.

Kim avait connu Mia quand elle venait d'emménager avec sa famille. Elle avait des origines indiennes bien qu'elle soit née en France. Elle avait de beaux cheveux bruns ondulés aux reflets de miel et Kim l'enviait pour ses yeux verts et la maudissait quand celle-ci lui faisait remarquer qu'elle faisait quelques centimètres de plus qu'elle.

Mais pendant qu'elle repensait à tout ça, l'heure tournait.

Elle enfila en vitesse un jean slim bleu marine, une veste cacao et des bottines en cuir, s'attacha les cheveux en queue de cheval puis elle empoigna son sac avant de se diriger vers la porte. En passant elle versa quelques croquettes dans la gamelle de Snoopy en lui disant d'être sage. Elle lui promit de rentrer vite et la seule réponse de celui-ci fut un miaulement.

Elle passa sa main devant le capteur afin que la porte d'entrée s'ouvre puis la verrouilla d'un code à six chiffres avant de se diriger vers l'ascenseur. Une fois dedans, une voix demanda à quel étage elle voulait se rendre.

- Rez-de-chaussée, I.A.N.

- Très bien, mademoiselle Kim.

Le nom I.A.N signifiait « Intelligence Artificielle Nanotechnologique ». -Il fallait lui bien trouver un nom- Presque tous les immeubles en étaient dotés aujourd'hui sauf ceux des quartiers d'immigrés comme celui où vivait ses amis.

Dès qu'elle fut dehors, l'odeur du goudron encore humide entremêlée à celle des feuilles d'automne lui démangèrent les narines.
D'un pas assuré, elle se dirigea vers l'arrêt du TIM (Train à Interaction Magnétique) quand elle reconnut l'une de ses voisines : Madame Klein, une adorable vieille dame qui se montrait parfois quelque peu -voire un peu trop- collante...

Pourvu qu'elle ne me voie pas...

Trop tard... Avant même d'arriver à l'arrêt, Luna Klein fit de grands signes à Kim. Il était trop tard pour reculer. Elle s'avança péniblement et essaya de dissimuler sa gêne par un sourire forcé.

- Ah ! ma petite Kim, comment vas-tu ? s'exclama la vieille dame d'une voix enjouée.

- Bien et vous ?

- Très bien, très bien. Mes petits enfants sont venus me voir le week-end dernier et m'ont offert ce joli collier pour mon anniversaire.

Elle ouvrit le pendentif et un hologramme de ses deux petits-enfants mimant un baiser avec leurs mains apparut.

- C'était votre anniversaire !

Décidément les anniversaires et elle, ça faisait deux.

- Ne t'en fais pas pour ça. Une vieille dame comme moi n'a que faire que l'on lui rappelle son âge au fil des années. Tiens, voilà le TIM A.

- Je prends celui de la ligne B, je me rends au Book Store. Je dois, moi aussi, offrir un cadeau à quelqu'un.

- Oh, c'est pour le fameux Dan ? appréhenda-t-elle avec un sourire.

- J'ai bien peur que non... rectifia Kim, presque ironiquement.

Luna comprit et n'en rajouta pas.

- À bientôt ma petite Kim, fit-elle avant de rentrer dans le wagon.

- Au revoir, Madame Klein.

Une sonnerie retentit et les portes se fermèrent. Luna Klein sourit à Kim et lui fit un signe de la main en guise d'au revoir. Kim lui rendit son sourire. Il fallait avouer qu'elle l'aimait bien tout de même, cette petite dame.

SigmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant