Une Touche de Bleu et de Noir

Chapitre 1

Il y a plus de mille ans, lorsque la Terre a rendu son dernier souffle, les élus durent  vivre dans l'espace. Leur première colonie spatiale se nomma Azur et sa descendance fut le fruit de plusieurs expériences humaines. Elles eurent donné naissance à des êtres désormais parfaits. Des êtres qui sauront sauver et préserver l'avenir de l'humanité.

Gloire à Azur, le dernier espoir.

KALINA

L'insulte qu'il lui cracha à la figure fut plus compliquée à encaisser qu'elle ne l'avait crue. Kalina laissa le suspect derrière la vitre blindée de sa prison et retourna à son bureau. Dans les couloirs d'une blancheur éblouissante sous des néons trop lumineux, on ne lui adressa aucun regard. Tous avaient le nez levé sur les écrans bleus qui s'étaient matérialisés dans l'office. Ils l'avaient tous entendu mais ils gardaient le silence. Ça n'était pas important. Ça ne valait pas la peine qu'on s'en soucie. Pourtant, Kalina elle, s'en souciait. Ils voyaient en elle une statue de marbre, comme il en existait dans les anciens temps, polie et d'une blancheur immaculée. Un cœur figé dedans que rien ne pourrait atteindre. Rien de ce genre là, en tout cas. Oh, ils ignoraient à quel point l'insulte l'avait en réalité bien touchée.

Elle avait eu l'effet d'un coup de poignard soudain dans sa poitrine. Kalina était restée silencieuse mais une émotion malvenue l'avait saisie à la gorge. Elle avait encaissé le coup, seule, droite, face à deux yeux noirs qui n'exprimaient que le néant. Si Kalina s'était figée dans l'espace et le temps, le Radié avait quant à lui certainement souri. Il lui avait porté le coup de grâce. Il avait dû le voir, parce qu'elle avait réagi sous ses yeux. Se tendre de tous ses muscles était bien une réaction, au moins de celle qu'il attendait. Même si elle avait été la seule à avoir bronché, ça restait une victoire. Elle le méritait. Ils le méritaient tous, puisqu'il était enfermé ici à cause d'eux. Kalina pouvait-elle vraiment lui en vouloir ? Ils venaient de deux mondes opposés. Et il avait probablement raison.

En tant que Lieutenant (mais surtout en tant que nouvelle au sein de la SSA), Kalina savait qu'ils attendaient d'elle une droiture exemplaire. Ses émotions témoignaient d'une faiblesse inappropriée pour une Azur et elles risquaient de lui coûter sa place. Il n'en était pas question, Kalina ne voulait décevoir personne. Alors elle avait laissé le prisonnier dans sa prison de verre sans ajouter un mot, et elle était retournée à son bureau. Elle avait dû braver ses collègues silencieux et désintéressés. Elle s'était même pris un café à emporter pour donner l'impression que tout allait bien. Mais ça n'allait pas, non, ça n'allait pas. Sa poitrine semblait avoir du mal à contenir l'organe logé à l'intérieur. Il lui semblait lourd.

Une fois de plus.

Kalina le savait. Ils le savaient tous. L'azur de ses yeux était un privilège que personne d'autre ne pouvait avoir. Et certainement pas un Radié. C'était d'ailleurs pour ça qu'ils n'existaient pas. Malheureusement, Kalina n'avait rien d'une parfaite Azur. Elle devait jouer le rôle d'une femme de glace parce que c'était ce qu'on attendait d'elle. Pour s'intégrer, ou pour faire au moins semblant d'être à sa place. Si elle n'y arrivait pas toujours, il y avait au moins une personne qui lui permettait de souffler, ne serait-ce qu'un peu. Elle n'attendait qu'elle, dans son bureau bien trop grand pour elle seule et dépourvue de décorations et de touches personnelles, pas même des photos de sa famille. Rien qui ne pourrait trahir ses sentiments. Kalina se sentait éperdument seule dans tout ce blanc immaculé et éclatant autour d'elle. Elle se sentait seule excepté quand il était là. Sa présence, son nom, tout chez lui l'obsédait. Elle se sentait libre avec lui. Il lui accordait le répit dont son cœur avait besoin.